Si les termes «embourgeoisement» et «gentrification» ont une connotation négative, il en est autrement de «revitalisation», terme utilisé à outrance pour présenter le projet Well Inc. En effet, force est de constater que la rue Wellington Sud est laissée à l’abandon depuis plusieurs années, voire décennies. Pourtant, la portion Nord de la même rue semble s’être embourgeoisée tranquillement pendant ces mêmes années, sans projet particulier coûtant des milliards de dollars, et personne ou presque n’a paru s’en soucier tellement ce changement de perspective s’est opéré lentement.
«La gentrification ou embourgeoisement urbain est un phénomène urbain par lequel des personnes plus aisées s’approprient un espace initialement occupé par des classes de population moins favorisées, transformant ainsi le profil économique et social du quartier au profit exclusif d’une couche sociale supérieure.»
Nous assistons déjà à l’embourgeoisement du centre-ville de Sherbrooke: ouverture de restaurants ou pâtisserie hors de prix pour les classes les plus pauvres, apparition de panneau «Pas de flânage», fermeture de cafés communautaires; il y a même des pics anti-SDF près de la Maison du cinéma. Même la règlementation municipale est appliquée différemment du côté Nord que du côté Sud de la Wellington. En effet, il est possible d’être en compagnie de son chien du côté Sud, mais cette même action est considérée comme illégale sur la portion Nord. Simple hasard? Bien sûr que non.
Une des cibles de Well inc. est de «doubler la population du centre-ville». Plus loin, on apprend qu’on souhaite aussi «augmenter le revenu moyen de la population du centre-ville». Pour atteindre ces cibles, le résultat est simplement que la population a doublé et que le revenu a augmenté… et on nous dit que Well inc. n’aura aucune conséquence négative sur les ménages à faibles revenus et que ce n’est pas un projet de gentrification? Come on.
Les conséquences de la gentrification sont nombreuses, dont l’expulsion graduelle des populations les plus pauvres économiquement, marginalisées ou vulnérables, vers des zones de la ville moins en demande, des quartiers où les loyers sont moins chers… et qui offrent souvent moins de services de proximité. Pourquoi? Parce que l’idée d’une mixité sociale est une idée tampon servant à amoindrir les impacts significatifs et insidieux d’une «revitalisation» à petite ou grande échelle d’une portion de territoire urbain. Tandis que les personnes propriétaires de leur logement dans les zones en cours de gentrification vont bénéficier de la hausse des prix du logement, les personnes qui louent leur logement, au contraire, ne vont pas avoir de réelle compensation à leur évincement du quartier. Faut-il rappeler que 95% des ménages habitant actuellement le centre-ville de Sherbrooke sont locataires, que ceux-ci ne bénéficient pas d’une grande stabilité et qu’un peu plus d’une personne sur deux vit en dessous du seuil de la pauvreté?
La pression économique et les prix du marché du logement dépendent de la vitesse de la gentrification. Même si celle-ci s’échelonne sur une longue période, les prix des loyers finiront par augmenter à cause de la nouvelle popularité du quartier, par la réhabilitation de vieux bâtiments ou de maisons et par la pression populaire des nouveaux résident.e.s envers l’administration publique pour avoir accès à davantage de ressources et de services. On y verra pousser des condos comme des petits pains chauds, des lofts trop chers – mais au goût du jour – et, bien sûr tel qu’indiqué dans le projet Well Inc., on visera principalement l’entreprenariat à tout prix, le business, le profit. Au détriment de qui? On vous laisse deviner.
Le processus de gentrification peut paraître à première vue comme une solution à certaines problématiques dont fait face l’administration publique municipale, comme celle de donner une seconde vie à des zones détériorées ou abandonnées, telle que la portion Sud de la rue Wellington. Or, ces quartiers sont habités et représentent un milieu de vie essentiel pour plusieurs de ses résident.e.s, au-delà des considérations historiques ou économiques. Des liens ont été tissés, des routines se sont installées, des ressources d’aide s’y sont développées et surtout, la solidarité de la rue a grandi et s’est renforcit au fil du temps.
Pour nous, le focus est mis sur le développement capitaliste de la Wellington Sud, sur son potentiel et ses retombées économiques, sur ces conséquences positives pour l’entreprenariat, pour le tourisme. Dans ces grands projets d’envergure, on a souvent tendance à oublier que des vies se jouent à chaque coin de rue dans les quartiers jugés désuets et inadéquats par les un.e.s, et si cher aux autres. Les projets de gentrification ne sont pas des projets portés individuellement ou le résultat d’un quelconque intérêt soudain pour un quartier. Ce sont des projets politiques, des choix politiques, souvent faits au détriment de l’amélioration des conditions d’existence de l’ensemble de sa population pendant que celle-ci voit l’offre de services stagner et les coûts de la vie augmentés… Sherbrooke vaut nettement mieux que ça!
Ce texte a été rédigé avant l’annonce du retrait du projet du consortium. Une version plus longue de ce texte contenant les recommandations détaillées de la Collective Sherbrooke Féministe sur la nécessité d’une analyse structurelle féministe, collaborative, inclusive et participative du projet Well inc. est disponible sur le site web de La Collective Sherbrooke Féministe.