Vivre et laisser vivre: le cas du végétarisme

Date : 7 Décembre 2016
| Chroniqueur.es : William Champigny-Fortier

Ma première année de végétarisme s’achevant, j’ai décidé de relever quelques observations effectuées au quotidien et de les présenter ici. Bien évidemment, je sais qu’il me sera reproché très exactement ce qui est reproché aux autres individus défendant ce type d’alimentation. On me dira par exemple que vanter le végétarisme c’est imposer son mode de vie. «Vivre et laisser vivre», diront probablement quelques-uns de ces individus en oubliant que c’est précisément le but du végétarisme qui n’est rien d’autre qu’une alimentation qui laisse vivre au lieu de tuer. Mais assez d’anticipations, voici les quelques observations.

Premièrement, l’image essentialisée du végétarien ou de la végétarienne typique telle qu’elle est souvent médiatisée ou parodiée renvoie souvent à des clichés ésotériques «zen». D’une façon, l’image des personnes végétariennes est celle du petit-bourgeois «spirituel» qui aurait choisi de ne plus s’alimenter de viande pour une raison métaphysique quelconque. Dans les faits ce genre d’individu est assez minoritaire même s’il est vrai qu’il est facile à remarquer. À l’inverse, l’alimentation végétarienne est souvent adoptée pour des motifs rationnels évidents. Le fait que l’industrie carnée soit l’une des plus polluantes pour les rivières, qu’elle produise plus de GES que le domaine des transports ou encore qu’elle soit une source de souffrance incommensurable n’en sont que quelques exemples.

Deuxièmement, dans la plupart des situations sociales où se regroupent autour d’une table des personnes végétariennes et d’autres qui ne le sont pas, le simple fait que le sujet soit évoqué provoque une friction. Pourtant, les végétariens et les végétariennes ne mentionnent généralement leur type d’alimentation que pour éviter des malentendus tels que la présence d’un menu carné sans alternative. D’une certaine manière, la situation peut être comparée à celle qui aurait lieu si une personne affirmait souffrir d’une allergie quelconque. Cependant, dans ce cas la réponse est compréhensive alors que dans l’autre elle est assez souvent négative. Comme si un tabou alimentaire venait d’être transgressé. Dans les non-dits s’exprime la plupart du temps une sorte de reproche contre l’«intransigeance» végétarienne. D’où vient cette réprobation? Probablement du fait qu’encore aujourd’hui, le choix végétarien est considéré comme une diète, un régime semblable aux autres, alors que dans les faits c’est plutôt d’un choix éthique qu’il est question.

Troisièmement, les arguments opposés à l’alimentation végétarienne procèdent trop souvent de la stratégie du déni plutôt que l’argumentation rationnelle. En effet, que valent des arguments tels que: «manger de la viande c’est naturel, certains animaux en mangent d’autres», «l’alimentation végétarienne néglige un groupe alimentaire» ou encore «l’évolution nous a permis de manger de la viande pour une raison»? En réalité, ces objections ne valent rien du tout puisque la preuve est donnée chaque jour par le fait que des plusieurs milliers d’individus vivent très bien avec ce type d’alimentation. Mieux encore, les statistiques sur ce sujet révèlent que l’espérance de vie moyenne des personnes végétariennes est plus élevée que celle des personnes à régime carné. Toutefois, cela importe peu parce que bien souvent les individus qui amènent ces arguments savent bien qu’au fond ils ne tentent que de justifier une préférence alimentaire en niant les conséquences de celle-ci.

En somme, une année de végétarisme m’a permis de constater un mécanisme fort intéressant qui œuvre parfois chez l’être humain: la stratégie du déni. Ses engrenages sont simples et peuvent facilement être expliqués. Tout d’abord, la personne crée un cordon sanitaire entre elle et l’information qu’elle tente de se cacher. Cette frontière commence par l’humour et la parodie. Rire crée une distance par rapport à l’objet du déni. Ensuite s’installe une phase de relativisation dans laquelle le but est de mettre artificiellement sur un pied d’égalité deux postures ressenties comme inéquivalentes sur le plan éthique. Finalement, le procédé de la rationalisation sert de casemate si la personne croit nécessaire de protéger sa négation. Cette rationalisation, loin de coïncider avec le procédé de raisonnement logique, consiste plutôt en une sorte de verni qui vient s’appliquer à rendre plus acceptable un préjugé sentimental.

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