Juillet 1967, Le Général de Gaulle, président de la République française, bras levés au balcon de l’hôtel de ville de Montréal, exhorte la Belle Province à l’indépendance. Malgré deux référendums perdus, le Québec s’est construit une autonomie certaine au sein de la confédération du Canada.
De son côté, la France s’est engagée sur la voie du fédéralisme européen avec la création d’un espace de libre circulation, d’une monnaie unique et d’un parlement européen. Deux chemins à contrecourant qui vivent tous les deux une remise en question profonde : défaite du Parti Québécois et victoire des nationalistes du Front National (FN) aux élections européennes en France. Un regard croisé sur ces deux résultats électoraux met en évidence des déboires communs.
En France
Les sociodémocrates du Parti Socialiste (PS) et les libéraux-conservateurs de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP) sont, dans les grandes lignes, favorables à l’organisation actuelle de l’Union Européenne (UE). Le FN souhaite le retour au franc et à des frontières plus étanches, ce qui entrainerait inévitablement la fin de l’UE. La critique à gauche, portée par le Front de Gauche (FdG), remet en cause la politique économique libérale et monétaire de l’UE. Alors que prévaut en France un chômage endémique à 10 %, une réduction des budgets publics (53 milliards € sur 3 ans), les réponses venues des urnes sont celles du libéralisme économique (UMP : 21 %) et du repli sur soi (FN : 25 %). Le PS obtient le plus bas score de son histoire (14 %), et le FdG peine à maintenir son résultat (6 %).
Dans cette bataille de chiffres, de milliards et de pourcents, le FN réussi à agréger tous ceux qui souffrent de la crise économique et désigne l’UE, la mondialisation et l’immigration comme responsables des maux vécus par la population la plus fragile. Le discours porté par le Front de Gauche, coopératif, écosocialiste et internationaliste, se retrouve inaudible dans la grande essoreuse médiatique face à celui, simpliste, du FN. Il subit également les conséquences des renoncements politiques des sociodémocrates du PS au pouvoir, encore associés à la gauche dans l’imaginaire commun. Le projet européen se retrouve donc en panne par son incapacité à créer un sens commun, à proposer une autre utopie que celle du marché et de la croissance infinie. C’est sur son cadavre que poussent actuellement les ronces du nationalisme en Europe alors même qu’un des objectifs de l’UE est d’empêcher toute nouvelle tentation fasciste. Plus qu’une victoire des nationalistes, nous assistons à une magistrale défaite de la gauche à proposer un autre paradigme au libéralisme économique et à endiguer le processus vécu comme inexorable de la mondialisation. Ce sont ces deux éléments cristallisés en l’UE, plutôt que l’UE elle-même, que les français pensent combattre par un vote pour le FN.
Au Québec
De ce côté de l’Atlantique, le gouvernement de Mme Marois est passé, en l’espace de 18 mois, de minoritaire à… rien du tout. La vague libérale a même noyé la capitaine du Parti québécois. Seul flottait au milieu du désastre l’iceberg PKP. Dans le même temps, Québec solidaire confortait ses positions et envoyait un troisième député au Parlement. La déroute du PQ est vécue comme la fin du projet indépendantiste. Pourtant, le PQ subit davantage les contrecoups de ses renoncements politiques sur les frais de scolarité, sur l’exploitation des pétroles de schiste ou sur la charte de la laïcité que son bilan sur l’indépendance du Québec.
La campagne électorale a été polluée par le projet indépendantiste. Le référendum sur l’indépendance était un objet politique manipulé des deux côtés de l’Assemblée nationale pour déstabiliser l’adversaire. Obnubilés par la bonne marche des affaires courantes du gouvernement, les ministres péquistes ont appliqué la politique du business as usual, tout comme le font les sociodémocrates du PS en France. Les concessions à rabais offertes aux compagnies minières et l’avènement de PKP sont les emblèmes de cette politique sociale-démocrate qui, une fois au pouvoir, devient impossible à différencier de toute autre politique libérale.
Les résultats du PQ n’enterrent ni n’invalident le projet indépendantiste. Ils indiquent plutôt que, tout comme le projet européen, il est actuellement hors sujet. Les crises de l’UE et de l’indépendance du Québec sont similaires : en l’État, ces projets sont surclassés par l’économie libérale de la mondialisation. Ils ne portent intrinsèquement aucune vision du futur sur les crises des ressources et climatiques qui s’annoncent. À ce titre, la progression de Québec solidaire démontre le besoin d’une nouvelle utopie pour un projet commun. Il serait bon de voir Françoise David, les bras levés sur le perron de l’hôtel de ville de Paris, se déclarer pour une Europe juste, verte et libre du marché mondial.