Une critique sans (trop) divulgâcher.
Pour mieux se retrouver.
Cinq astronautes sont envoyés dans l’espace à destination de Mars, afin de régler tout problème personnel qui toucherait l’équipage, une mission à huis clos est organisée simultanément sur terre avec cinq personnes au profil similaire. Le rêve de David se concrétise, il va devenir astronaute en devenant John et vivre la vie… et surtout les tumultes d’un voyage hors-norme.
Peut-on être surpris émotionnellement lorsqu’on regarde énormément de films au fil des ans ? C’est une question qui trotte dans la tête de tout amoureux du cinéma à un moment donné et à laquelle je répondrais sans aucun doute par un grand oui, car je retiens qu’un film est, avant tout, une longue aventure humaine avec son lot de surprises. Cette aventure qui rend parfois le basique d’une personnalité en personnage exquis, de cette même traversée qui place la torpeur du début en ébahissement final. Un cheminement dans lequel on espère y vivre un tas d’émotions, car nous savons pertinemment qu’au cinéma rien ne peut paraître basique pour peu qu’on y place de l’audace.
Dans cette audace, il y a la magie, cette magie de retrouver un juste équilibre entre les différents éléments qui compose un film. Je me délecte de chaque œuvre à sa juste valeur. Certes cela peut être dans une scène, dans un personnage, dans une musique, dans une lumière, mais rarement je me sens surpris durant chaque scène d’un film, de ces scènes qui permettent de découvrir un élément que je n’avais pas envisagé, de ces lignes de dialogue qui transpirent la belle comédie subtile et recherchée, et que dire de ces comiques de situation où il n’y a pas la nécessité de forcer les rires du spectateur, écartant à merveille la commissure de nos lèvres. Ces comiques de situation qui ont établi les premières pierres de mon amour cinématographique, des films de Jacques Tati (Mon oncle, Playtime, Les vacances de Monsieur Hulot, etc.) en passant par Being There de Hal Ashby, j’ose le dire à travers l’œuvre qui sort ce vendredi, on a saisi l’espace de l’heure et des quarante minutes, cette essence cinématographique.
La mention spéciale du TIFF (Toronto International Film Festival) attribuée à la dernière œuvre de Stéphane Lafleur (En terrains connus, Tu dors Nicole) et à son onirique désillusion est un long cheminement de nos égos, de la concrétisation de nos rêves. Le rêve est acquis et il se trouve dans Viking.
À ce cher cinéma de réaction!
L’une des nombreuses forces du film de Stéphane Lafleur, c’est ce jeu de réaction, elle incombe l’idée de prendre à parti le spectateur en brisant la distance. Elle commence par le titre, par l’affiche entre Larissa Corriveau et Steve Laplante en costume d’astronaute avec cette boule à facette au-dessus d’eux, suivi par chaque scène, décors, costumes ou dialogues. On ne s’y trompe pas, en tant que spectateur on va vivre et s’investir dans ce film comme nos personnages que sont John, Steven, Janet, Gary et Lise en cumulant les (surprenantes) réactions aux actions des autres. C’est ainsi que le legs de la satire entre l’égo et la découverte s’expose dans nos approbations ou réprobations, celui de croire que l’on peut trouver les réponses pour les autres sans pour autant avoir toutes les cartes en main, de son passé en passant par ce qui le caractérise émotionnellement.
L’autre force qui apparaît dans son film et que j’aime voir au cinéma, c’est cette solitude, cet isolement du ou des personnages, même si elle est évoquée plus subtilement que dans Tu dors Nicole, elle est perceptible. Une fois de plus, elle crée en nous cette détresse, cette volonté, de voir un personnage se rapprocher d’une personne pour prouver que l’on existe dans un moment, que le rêve de David n’est pas une illusion. Elle nous apparaît dans certaines scènes, dans certains regards où l’individu doit se créer dans cet équipage et de savoir enlever son masque de la solitude.
Une réaction ne serait rien sans le jeu d’actrice, le jeu d’acteur, il m’est impossible de ne pas soulever les performances de Steve Laplante (David/John), de Larissa Corriveau (Steven), de Fabiola N. Aladin (Janet), Hamza Haq (Gary), Denis Houle (Liz), Marie Brassard (Christiane Comte), Martin David Peters (Jean-Marc), qui font de ce film un hors-d’œuvre unique et efficace, tant dans la comédie que dans le drame, de ne jamais forcer pour nous faire croire et la plus belle chose au cinéma se réalise celui de croire à une œuvre, aux personnages, à une histoire. On croit au scénario de Stéphane Lafleur et Eric K. Boulianne, sur lequel s’ajoutent les belles additions tant de la direction photo de Sara Mishara que de l’univers musical de Sylvain Bellemare.
Un délice de cinéma!
Entrée Libre a eu l’opportunité de s’entretenir avec l’équipe du film Viking, sans aucun doute l’un des films les plus originaux de l’année 2022 :
Souley Keïta : Premières images, première question. Est-ce que vous diriez que notre identité dans ce monde se résume à une question fatidique, celle de donner de l’importance à nos rêves ?
Eric K Boulianne : C’est sûr qu’au départ cela reste une thématique principale du film. Elle est liée au personnage de David, et en tant que spectateur, on plonge la tête en premier dans son rêve. Il est sur le point de le vivre ou du moins c’est ce qu’il pense. C’est sûr qu’au départ, nous voulions avec Stéphane faire un film sur les ambitions, donc oui c’était le point de départ pour ce film.
Stéphane Lafleur : Il y a l’idée de le rapprocher de son rêve, avec en point de mire, jusqu’à où tu es prêt à faire des sacrifices pour te rapprocher de ton rêve. Dans la première image du film, il y avait l’idée de rester sur David, sans montrer son interlocutrice, pour comprendre que l’on va suivre uniquement ce personnage, mais il y a également la volonté de le présenter avec le questionnaire, car je trouve que c’est un beau subterfuge pour présenter un personnage rapidement, et cela même si les questions sont un peu décalées. Nous n’avons pas beaucoup de temps pour connaître le personnage de David.
Steve Laplante : Oui, d’ailleurs je trouve que ça mettait le personnage sous tension dès le départ. On le sent très tendu, sans savoir où il est on sent qu’il vit quelque chose de très important pour lui, même s’il est sur le grill.
Eric K Boulianne : Scénaristiquement, c’est le fun parce qu’on établit déjà l’importance de ses rêves, il veut faire une différence et puis il n’y a rien qui va l’arrêter pour réaliser son rêve. J’adore ces affaires-là.
Larissa Corriveau : Je dirai que c’est la pierre angulaire du film. Tu associes l’identité puis le rêve et le personnage de David ne s’identifie que par son idéal qui va être dénaturé par la trivialité de son quotidien.
Souley Keïta : Il y a une phrase qui s’oppose au personnage de David qui est la suivante : « Comprendre le passé pour écrire ton avenir » pourtant il ne le fait pas. En quelque sorte, il s’entoure de mensonges.
Stéphane Lafleur : Ce film est un tissu de mensonges (rires)
Souley Keïta : Je trouve qu’il y a une autre thématique phare dans ce film : la fracture identitaire. Cette même fracture qui nous place dans cet être ou ne pas être où parfois on ne sait plus si on a atteint un simple candidat 242, un personnage, un personnage dans le personnage. À quel point peut-on accepter les sacrifices par rapport à une identité que l’on se donne ?
Steve Laplante : Ce qui fait la base de ce personnage, il est tellement all in, il est jusqu’au-boutiste. Il arrive charger avec tellement d’attentes que sa mission cela pourrait l’amener à sa perte. On parlait d’attente et je trouve qu’il n’y a rien de pire que d’aller voir un spectacle où tout le monde a eu des critiques dithyrambiques et lorsque toi tu en sors, tu te dis que ce n’était pas si pire ou je ne l’aurais pas fait de même. C’est cela que vit le personnage de David.
Larissa Corriveau : Tu exprimes l’idée de sacrifice, mais je pense que ce personnage cherche à se trouver en menant la vie d’un autre. Je ne le vois pas comme un sacrifice, car sous l’apparat d’un sacrifice, ils vont donner un sens à leur vie et sans doute finir par se trouver, est-ce que cela va marcher ou pas ? Je parle surtout de David, car il est convaincu que sa cause est noble en pensant qu’il fait cela pour l’humanité, c’est peut-être juste un trip d’égo. Pour mon personnage de Steven/Marie-Josée, elle fait cela parce qu’elle s’ennuyait dans sa vie d’avant.
Souley Keïta : Je joue parfois avec mes interprétations, en mettant en lien avec The Trial d’Orson Welles, où notre personnage de Joseph K doit être une identité dans un groupe. Dans ce film, j’ai l’impression que c’est un groupe et des identités où l’identité devient moins importante, car la mission doit avancer et qu’au fur et à mesure David et Marie-Josée disparaissent.
Eric K Boulianne : Ils reviennent au galop. C’est la complexité de l’humain et c’est cela qui ressort dans le film. Je pense qu’il y a une notion qui est moins présente dans le film, celle où la société Viking ne pensait sans doute pas que certains joueraient à 100% leur rôle, car elle voulait sans doute voir la nature de ces cinq personnes. Même si tu devais jouer un rôle, tu deviens toi-même à la fin.
Stéphane Lafleur : C’est un peu la thèse du film qui suggère que l’on ne peut pas être quelqu’un d’autre. On fait beaucoup cela dans nos vies où l’on se rêve autre. Ce qui est impossible. Je pense que le moment où l’on est le plus mauvais c’est lorsqu’on fait un film en essayant d’être quelqu’un d’autre. Il y a l’idée de faire un film comme telle personne au détriment de sa propre identité.
Souley Keïta : J’aimerais que l’on parle de vos personnages. En quelques mots et sans dévoiler leurs intrigues, qui sont-ils ?
Larissa Corriveau : Pour ma part, c’est particulier, car initialement mon personnage au niveau 1 est Marie-Josée, mais au fur et à mesure dans le tournage, en préproduction, dans mes discussions avec Stéphane, on l’a toujours appelé Steven. C’est comme s’il avait pris plus de place que Marie-Josée. D’ailleurs, on ne sait pas grand-chose d’elle, excepté qu’elle a travaillé dans un domaine où elle était tannée. C’est un personnage de l’ambiguïté et c’est cette ambiguïté qu’elle amène dans la trame narrative, car ses intentions ne sont pas claires. Elle vient un peu comme un grain de sable dans l’engrenage de la mission en venant troubler David. Est-ce que c’est Marie-Josée qui le trouble ou est-ce que c’est Marie-Josée qui joue Steven qui le trouble ? On est toujours sur ce double niveau et pour moi, c’était d’être sans cesse dans le mystère. Il y a un lien avec l’inconséquence, car elle va le louvoyer au gré de ce qui se passe et elle va prendre des décisions sur un coup de tête. C’est un personnage qui n’a rien à perdre.
Steve Laplante : Je pense que c’est un idéaliste, un rêveur. Un personnage qui veut faire une différence en croyant à ses rêves. C’est également un guy next door, car on peut le rencontrer dans notre quotidien. Je trouve avant tout que c’est un film non pas sur cet homme, mais plutôt sur le rêve de ce personnage. On ne sait pas tant de choses sur lui, mais on apprend plus sur le rapport émotif qu’il entretient avec ce rêve.
Stéphane Lafleur : C’est une bonne nuance de dire que c’est un film sur le rêve de ce gars, car il est vrai qu’on ne sait pas grand-chose sur le backstory de ce personnage. On peut le deviner avec son rapport à son métier, par rapport à sa blonde qu’il aime ou ses chums.
Souley Keïta : « Simulation – Compréhension – Solution », comment opère-t-on des personnages à la double personnalité en ayant cette idée, comme dans le film, un ajustement perpétuel ?
Larissa Corriveau : On fait cela dans la vie. Nous sommes toujours écartelés entre nos masques. On a un personnage social qui n’agit pas de la même manière avec la famille, les amis ou les collègues. Dans une entrevue, nous avons également un autre personnage. On est toujours en train de changer de masques et je pense que les personnages de Viking sont dans cette configuration, sauf que pour leur part, ils l’officialisent dans le contexte d’une mission. Je trouve que le film est une belle analogie de ceux que nous sommes en tant qu’êtres humains. C’est juste que l’on ne change pas de prénom à chaque masque. Ce n’était pas vraiment plus complexe à jouer.
Steve Laplante : Je dirais également que ce n’était pas si complexe, car mon personnage veut tellement être John. Le défi était plus sur le niveau de jeu et jusqu’à où on le rend fou, jusqu’à où il reste lui-même. La volonté était ciblée sur ce que le spectateur peut percevoir de ce personnage et à quel niveau? On voulait que le spectateur vienne vers ce gars-là.
Stéphane Lafleur : Tu avais une courbe très claire, on savait très bien où on était rendu dans l’évolution dramatique de David.
Souley Keïta : En reprenant l’idée de l’identité. À travers votre film, on y voit un scénario, un film aux multiples registres et qui passe par du drame, de la science-fiction, de l’aventure, de la comédie ou de l’absurde. Pouvez-vous nous en dire plus tant sur la genèse que sur l’identité de Viking ?
Eric K Boulianne : Par rapport au genre, c’est un film qui se promène à travers plusieurs genres, mais c’était, on le répète souvent, de faire une bonne histoire qui nous surprend. Je pense que le changement de ton vient parfois du fait qu’il y a un twist plus dramatique qui arrive, puis un twist plus comique ou plus absurde. Je sais qu’on essaye toujours de catégoriser un film dans un genre, mais c’est avant tout une œuvre qui se promène et c’est cela qui m’a donné du fun avec Stéphane à l’écriture. On ne se posait pas ces questions de genre, mais plutôt des questions sur la courbe du personnage. Comme Stéphane le dit souvent, ce sont des personnages qui se prennent pour des astronautes, le film se prend comme un film de science-fiction, de comédie, de drame.
Stéphane Lafleur : Je cherchais à faire un film qui se rapprochait des codes de la science-fiction, mais qui tenait compte également de la réalité financière avec laquelle j’allais opérer. Je sais que je n’ai pas le budget des grands films SF dont je pourrais rêver. Il était important de trouver un concept qui embrasse ce monde-là.
Souley Keïta : Est-ce que la mission de la société Viking et de ses personnages a pour problème principal d’être avant tout en réaction et non pas en action, un peu à l’image d’un scénariste, d’un réalisateur qui donnerait à son actrice, son acteur des informations au compte-gouttes?
Stéphane Lafleur : L’idée avec Eric, c’était de s’amuser avec le concept de l’avance ou du retard. Comment peut-on prendre ce concept et le décliner de toutes les façons ?
Eric K Boulianne : On peut le ramener encore une fois au rêve où il y aura dans le film une volonté de ne plus être en réaction, mais en action.
Souley Keïta : Est-ce que l’on pourrait finalement attribuer à Viking l’idée du rêve que l’on veut être?
Larissa Corriveau : C’est la tentative et la désillusion. On se le disait souvent que le sous-titre de Viking, ce serait rêve ou désillusion. Cela me ramène à quelque chose que j’aime beaucoup dans le cinéma de Stéphane, l’idée que les personnages nous aident à faire la paix avec notre sentiment d’être étranger au monde. On se dit qu’on l’est toujours un peu, mais ce n’est pas si grave. Dans le contexte de Viking, cela apparaît sous la forme du grand idéalisme confronté à la trivialité du quotidien, mais finalement c’est aussi ça la vie, donc vit-là.
Auréolé de la note de 2 par Médiafilm (seulement 10 films québécois ont eu cette note), retrouvez sans aucun doute l’un des coups de cœur de l’année 2022 à La Maison du Cinéma.