Entrée Libre inaugure ce mois-ci une série de 8 portraits d’immigrants à Sherbrooke. L’auteure, Aline Cloutier est depuis longtemps bénévole au Service d’aide aux Néo-Canadiens à Sherbrooke. Cela lui a permis de rencontrer des dizaines d’immigrants au parcours courageux et fascinant. C’est de ces expériences qu’est née l’idée d’interviewer des réfugiés politiques ou des immigrants indépendants disposés à témoigner de leur cheminement, à partir de leur pays d’origine jusqu’à Sherbrooke. Ce témoignage est le premier d’une série de huit portraits.
Il en a parcouru du chemin Van Nha Tran depuis 1988. Voici le portrait d’un homme de conviction, de courage et de persévérance. Un beau modèle pour ses enfants.
1975 Ho Chi Minh (Vietnam)
Van Nha n’a que 20 ans et assiste au départ de milliers de Vietnamiens qui fuient clandestinement le pays devant les vives tensions entre les Vietnamiens du Sud et du Nord. On les appellera les « Boat People ». Des centaines y laisseront leur vie. Van Nha, lui, souhaite apporter une contribution à son pays. Il décide de rester.
Il embrasse la carrière d’enseignant dans une école secondaire. Il y enseignera la géographie, mais abordera aussi l’économie, selon les diktats du Parti. Bien qu’encore jeune, Van Nha constate les failles du régime et les remet en question… en silence. Il profite des sorties hors de la classe organisée par l’école pour transmettre son message, mais son discours outrepasse les matières académiques. La prudence s’impose, on pourrait le trahir. Une réflexion s’amorce. Van Nha se rendra compte plusieurs années plus tard que le pays est voué à l’immobilisme, conséquence du communisme.
Van Nha a maintenant 33 ans, marié à Thi Tuyet Do et père de 3 enfants. Il s’inquiète pour l’avenir de toute la famille. Quitter le pays, le risque est énorme. Il partira donc seul. Sa femme Thi Tuyet, et ses enfants vivront dans la maison des parents de Van Nha, avec ses sœurs. Cette séparation durera cinq ans.
Van Nha loue un guide. Il en coûte 2000 $, une somme gigantesque pour un Vietnamien de sa condition. Le trajet se fait d’abord en autobus, un premier arrêt dans l’ouest du Vietnam sur le fleuve Mékong. Durant la nuit, le guide lui demande d’être attentif à tout signe de sa part, au cas où ils seraient obligés de partir rapidement. Au petit matin, une barque l’attend, ainsi que des dizaines d’autres Vietnamiens, pour se rendre au Cambodge où il dormira quelques nuits. Cette partie du voyage est au péril de sa vie, car les Vietnamiens ne connaissent pas la langue et ont le teint plus clair que celui des Cambodgiens, donc facilement repérables. Un seul doute suffit pour se faire arrêter. Puis un autre bateau le fera traverser en Thaïlande. Il pousse alors un soupir, heureux d’utiliser le code prévu pour informer sa famille qu’il s’est bien rendu.
De juin à décembre 1987, plus de 10,000 Vietnamiens sont arrivés en Thaïlande par le même trajet que celui emprunté par Van Nha. Les arrivants sont placés un camp de réfugiés. Au camp, on décèle rapidement les qualités de leadership de Van Nha qui est choisi comme responsable d’un des huit quartiers regroupant environ 1,000 personnes par quartier. Il est chargé de distribuer la nourriture, de réconcilier les personnes, d’assurer la sécurité du quartier et d’enseigner le français et l’anglais à ses compatriotes.
Enfin le Canada… Sherbrooke
En 1990, Van Nha satisfait aux critères d’acceptation du Canada. C’est l’organisme Caritas à Sherbrooke (Québec) qui s’en portera garant jusqu’à son arrivée, puisqu’un cousin qui habite Sherbrooke depuis 1975 a fourni la caution requise, et le parrainera.
Quatre mois seulement se sont écoulés et Van Nha se trouve du travail chez Dunkin Donuts, grâce à un programme offert par le gouvernement fédéral visant à faciliter l’intégration des immigrants au marché du travail.
Puis, le 12 janvier 1993. Ce sont les retrouvailles. Émotion, joie, bonheur. La famille explose. Van Nha les guide dans tous les coins de leur nouvelle vie. Sa femme Thi Tuyet suit le cours de francisation pendant six mois. Puis, elle se trouve du travail en usine comme couturière pour ensuite devenir sous-traitante à la maison, pouvant ainsi s’occuper des enfants avant et après l’école. Van Nha, lui, quitte la maison à 5 h 30 pour se rendre au travail.
Van Nha apprend vite les aspects liés à la restauration d’un Dunkin Donuts. Aussi, il décide en 2000 d’acheter une franchise. Sa femme et sa sœur Minh Khanh font partie des employés.
La famille
À son arrivée, son fils ainé Thai-Son a 13 ans. Son intégration à la sixième primaire régulière après quelques mois seulement en classe d’accueil est ardue. Mais dès la deuxième session, il se hisse au rang des 10 meilleurs. Aujourd’hui, il est dentiste, marié à une Américaine et vit au Texas et, pour le plus grand bonheur des parents, il a deux jeunes enfants.
Le second fils Thai-Hoa a 10 ans à son arrivée. Il fréquente l’École du Phare, et grâce à des résultats exceptionnels, il s’est vu décerner la Médaille du Gouverneur général. Encore une fois, un sentiment de fierté anime la famille. Il poursuivra des études en médecine générale à l’Université McGill, puis des études spécialisées en pédiatrie pendant 3 ans au Western Ontario University à London (Ontario). Aujourd’hui, tout en exerçant sa profession au Sick Kid Hospital à Toronto, il est inscrit à un programme d’oncologie pédiatrique.
Nha Uyen, la troisième de la famille n’a que 5 ans et demi à son arrivée. Son apprentissage de la langue et du système scolaire sera l’affaire de quelques mois. À la fin des études collégiales, Nha Uyen se dirige vers le droit, études qu’elle fait à l’Université McGill à Montréal. Elle a aujourd’hui 25 ans, membre du Barreau du Québec et s’est jointe à l’étude Racicot & associés.
Un quatrième enfant s’est greffé à la famille. Thiên-An-Anthony. « Un quatrième enfant est né. Thiên-An-Anthony. Il a 12 ans maintenant et il étudiera à l’École Mitchell Montcalm qui offre un programme académique avec concentration en musique. Dans son cas, on ne parle même pas d’adaptation, Thiên-An-Anthony nage dans la québécitude.
La maison de Van Nha n’est jamais trop petite pour accueillir d’autres membres de la famille. Deux neveux et une nièce orphelins ont agrandi la famille en 2012 grâce au généreux parrainage de Van Nha. Après trois ans d’attente, ils arrivent à Sherbrooke le 21 décembre 2012. Tout ce beau monde vit dans l’harmonie et le bonheur.
2012 et l’avenir…
Van Nha a récemment pris une autre décision importante : fermer la franchise de Dunkin Donuts. Ne croyez pas qu’il chôme. Il vient d’ouvrir le Restaurant An Phun, situé sur la rue King Est à Sherbrooke.
Il est fort probable qu’aucun membre de la famille Tran ne nourrit de doutes quant à la décision du père de venir s’établir au Canada. On leur souhaite encore de belles années dans un pays qui leur a assuré un bel avenir.