Je suis une vraie Québécoise. Avant l’Inde, je n’étais allée que dans un mariage : une seconde union après quelques années de vie commune. Pas de prêtre, de jarretière ou de grosse robe de princesse. Juste une petite cérémonie simple et jolie avec les proches, dans un jardin, ce qui résume relativement bien l’expérience du mariage pour une large part de mes compatriotes issus de ma génération.
Je ne connaissais pas vraiment Karan et Iris lorsque j’ai reçu une invitation à leur mariage. Ces deux jeunes professionnels de New Delhi ont eu la chance de convoler avec le soutien d’une famille qui approuvait leur amour, alors que le mariage arrangé reste la norme en Inde. Je me sentais plus détendue, sachant que j’assisterais à un événement profondément désiré par les deux intéressés, et chanceuse d’être invitée dans une cérémonie qui représente probablement le rite le plus significatif de l’hindouisme. D’une semaine de festivités, j’ai assisté aux trois derniers jours. Au menu, mehndi (peinture des mains au henné) avec les femmes, célébrations avec la famille du mari, rites religieux avec la mariée et cérémonie finale, le tout agrémenté d’une orgie de nourriture dans un cadre princier.
Alors que le mariage québécois est devenu une institution souple et individualisée, le mariage indien reste le résultat de siècles de rites matrimoniaux complexes et précis. Il se doit d’être opulent et de rassembler le plus d’invités possible, dans les limites financières du père de la mariée. Malgré le fait que la dot soit illégale depuis 1961, cette pratique qui consiste à verser une contribution en argent et en matériel, en plus de donner sa fille à la famille de l’époux, est encore largement répandue. C’est pour cette raison que les Indiens disent qu’« avoir une fille, c’est comme arroser le jardin du voisin » et qu’encore aujourd’hui, l’avortement sélectif est couramment pratiqué. Avoir plusieurs filles peut représenter la ruine d’une famille.
Le mariage hindou, qui comporte de nombreuses variations régionales, débute avec le Makjidham, la rencontre des familles. Traditionnellement, les époux ne se connaissent pas jusqu’à la cérémonie finale; ils sont choisis par accord entre familles d’une même caste. Il faut savoir que les mariages intercastes sont encore aujourd’hui plutôt marginaux et donnent lieu à des débats de société durs, parfois même à des drames. Dans certaines parties plus conservatrices de l’Inde, comme l’Haryana ou le Rajasthan, des meurtres d’honneur sont commis pour punir les jeunes couples souhaitant défier l’autorité parentale.
Karan et Iris nous ont offert une semaine de festivités agrémentée de festins gargantuesques, de cérémonies diverses et très codifiées rassemblant une quantité impressionnante d’invités. Pendant cette semaine, les futurs époux, qui ne devaient surtout pas se voir, ont, chacun de leur côté, affronté Bhramans et famille pour obtenir toutes les bénédictions d’usage. Mais c’est sans doute la cérémonie finale qui est la plus fascinante.
Cette cérémonie transforme n’importe quelle Québécoise un peu sceptique face aux sacrements du mariage en petite fille émerveillée. Déjà, les vêtements sont impressionnants. Saris étincelants, étoffes chatoyantes, turbans, bijoux, paillettes, couleurs, beauté. La mariée est écrasée par une lourde Lengha rouge et incrustée de pierres scintillantes. La Lengha est constituée d’une large jupe et d’une blouse laissant souvent l’abdomen nu. Un voile brodé s’ajoute à l’ensemble en couvrant le ventre et la tête de la jeune femme. En plus d’une surabondance de bijoux, elle porte sur chaque bras une longue série de bracelets, précédemment purifiés par le Bhraman de la famille, qu’elle devra conserver sur elle pendant plusieurs semaines. Au cours de la cérémonie finale, elle recevra des bagues qu’elle portera aux orteils, ainsi que des chaînes aux pieds et de longs pendentifs aux poignets.
Le mari est vêtu du complet indien rouge ou beige et d’un turban agrémenté de fleurs lui pendant au visage. Il arrivera sur le site final du mariage sur un cheval blanc, entouré des hommes de sa famille et de ses amis qui s’arrêteront régulièrement pour danser au son des tambours. L’idée est de faire languir la mariée. Le cortège est attendu par les parents de la mariée, qui le recevront avec des offrandes, et les deux familles se joindront pour la danse.
Après cette procession rocambolesque, les deux époux s’assiéront pour de longues heures sur un trône où ils subiront une avalanche de flashs et devront écouter les commandements de l’hindouisme concernant leur avenir. L’humour étant aussi une part de la tradition, les sœurs de la promise se doivent de cacher les chaussures du futur époux, obligeant ses amis à les chercher toute la nuit. Le mariage sera finalement officiel après une seconde cérémonie, où des offrandes seront faites; le couple devra tourner sept fois autour du feu sacré et le mari apposera les pigments rouges sur le front de sa femme. Ils seront alors mariés, vers 3 heures du matin, le jour de leur première rencontre. Dans la majorité des foyers indiens, après le mariage, la fille quittera définitivement ses parents, frères et sœurs pour joindre la famille de son mari. La nouvelle venue se consacrera aux tâches domestiques et aux soins des enfants, sous la direction de sa belle-mère.
Aujourd’hui, bien que plusieurs femmes soient détentrices de diplômes universitaires et aptes à travailler de façon autonome, il n’est pas rare de voir celles-ci devenir femmes à la maison après leur mariage, selon les désirs de leur belle-famille.
Pour terminer, si à tout hasard vous avez la chance d’assister à un tel mariage, n’oubliez surtout pas de souhaiter aux mariés beaucoup de compréhension et d’écoute. Parce que le divorce n’est pas une option en Inde. Ou du moins pas encore.