Suspect numéro un

Date : 9 juillet 2020
| Chroniqueur.es : Souley Keïta
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Une critique, sans trop divulgâcher.

L’effervescence, l’exaltation, l’excitation ont animé la réouverture des cinémas québécois après le passage à vide lié au virus.

Une semaine plus tard, les spectateurs vont pouvoir se délecter, transpirer devant le premier film québécois à sortir dans les salles obscures, le thriller et film d’action Suspect numéro un de Daniel Roby (La Peau blanche, Funkytown, Louis Cyr, etc.)

Entrée Libre s’est entretenu un instant avec le réalisateur et scénariste du film, Daniel Roby :

Souley Keïta : 3 personnages, 3  » métiers » différents, 3 situations divergentes, mais un même cycle, celui de les voir acculés. Peut-on dire que Daniel Léger, Victor Malarek et Frank Cooper sont enfermés dans quelque chose de beaucoup trop grand pour eux?

Daniel Roby : Daniel Léger absolument, c’est une certitude. Frank Cooper l’est également, étant à la tête d’une cellule policière qui a du mal à performer depuis un certain temps. Ceci est une chose que j’ai observée dans la réalité où notamment cette équipe n’arrivait pas à trouver des dealers qui dépassaient des transactions de 200 dollars. Leur situation était catastrophique. Concernant Victor Malarek, je ne suis pas d’accord, car il n’y a rien de trop gros pour lui. Pour Victor, c’est un combat très important entre son idéalisme et les restrictions du système. La façon dont il est acculé au début est due au fait de convaincre son employeur que le temps qu’il met sur des enquêtes est nécéssaire, mais on a tendance à le ramener dans la case « ce que tout le monde fait ».

C’est un personnage qui brise les cadres et qui défonce les portes autour de lui. Aussitôt que quelqu’un l’empêche ou le restreint, rien ne l’arrête dans sa démarche. Dans cette histoire, pour la première fois, il va se rendre compte qu’il y a une limite sérieuse, notamment sa femme et son enfant qu’il doit protéger, mais sinon toute sa vie avant, à partir du moment où quelqu’un lui a fermé une porte, l’enchaîner ou l’encadrer, cela l’a déchaîné.

Souley Keïta : Le film laisse entrevoir beaucoup la caméra à l’épaule et instaure le mouvement caméra, outre le fait du film d’action, est-ce que cela dénote également que dans cette histoire, personne ne s’est arrêté pour voir que rien ne corroborait?

Daniel Roby : J’ai choisi deux choses au niveau du style visuel. Oui, j’ai choisi la caméra à l’épaule surtout pour augmenter un sentiment de réalisme dans le film. Cela arrive quand même assez souvent dans des reconstitutions de faits vécus et il y a de nombreux films qui ont adapté ce même style. Je trouve que cela donne ce sentiment de ne pas s’arrêter. Ceci était mon premier choix. Le deuxième choix était au niveau des objectifs avec de plus longues focales, plutôt que d’être assez large, on écrase les perspectives et cela accentue un peu plus le mouvement en avant et en arrière des protagonistes. Mon idée subconsciente était de donner l’impression au subconscient du spectateur que la Terre n’arrête pas de tourner malgré ce qui se produit dans la vie de ces protagonistes qui sont sans cesse en déséquilibre.

À travers ces trois personnages, nous avons visé l’imperfection dans le visuel, tant dans les cadres que dans la lumière, car rien n’est parfait dans cette histoire.

Souley Keïta : Il y a un film dont on pourrait sentir un clin d’oeil, Midnight Express, toutefois à la différence de ce film, il y a un regard plus avisé, un regard qui ne juge pas, qui ne déshumanise pas l’univers carcéral (justice et prison) d’autres pays. Était-ce important pour vous?

Daniel Roby : Merci, car c’était un truc important à souligner. Je voulais relater une réalité. Je me le suis beaucoup fait dire par des gens que souvent dans des films qui parlent d’Occidentaux dans des prisons de pays du Tiers-Monde, il y a comme un enfer dans l’univers carcéral de ces pays. J’avais envie de montrer que c’était dur, mais surtout je voulais montrer le réel. Je n’ai pas noirci le tableau. Je suis allé à Bangkok, dans un palais de justice, je me suis assis durant le procès de deux hommes accusés de trafic de drogue et j’ai observé. À travers cet évènement et ce que Alain m’a décrit, je voulais rester fidèle à cela.

Souley Keïta : 12 ans, est le temps qu’il vous a fallu pour faire votre film. Un film qui relate une erreur magistrale de la police. Est-ce qu’au-delà de ces années, il y a eu des bâtons dans les roues?

Daniel Roby : La beauté de la chose est que c’est non. Je n’ai eu aucun obstacle politique à faire ce film. C’est la beauté de la chose au Canada, j’ai été agréablement surpris que le gouvernement canadien, à travers Téléfilm Canada, soit investisseur sur le film. L’embarquement fut immédiat, et cela dès les premières étapes d’écriture. Je n’ai jamais senti de frein au niveau du sujet, c’est génial. Les vraies raisons sont dues à la problématique de financer le film, notamment dans le cinéma indépendant anglophone au niveau mondial.

« L’injustice fait mal lorsqu’elle se voit ». Cette phrase de Jean-Jacques Rousseau, dans Les Confessions, pourrait hanter les souvenirs, traumatisants, d’Alain Olivier, dont le nom a été modifié dans le film. Cet ancien toxicomane a été piégé dans un trafic d’héroïne en Thaïlande, crime pour lequel il va purger 8 ans. À la manière d’un Midnight Express, le film nous prend à la gorge, Antoine-Olivier Pilon prête, avec brio, ses traits au personnage principal Daniel Léger. Un jeune homme quelque peu désemparé et à la naïveté déconcertante, qui se fait broyer par les rouages d’un système qu’il n’a jamais su maîtriser. À travers le regard de Victor Malarek, qui marque l’envolée de Josh Hartnett dans un rôle, qui le sied à merveille, ce journaliste va se battre contre vents et marées pour rétablir la vérité.

Un sujet, qui met en lumière un silence, pesant, sur les différentes techniques utilisées par la police pour piéger des personnes. 

Dans une bande sonore nerveuse et trépidante, Daniel Roby fait virevolter les questionnements chez le spectateur.

Ce film qui sort le vendredi 10 juillet à La Maison du Cinéma, ne condamne pas, mais expose les réalités passées et présentes qui sont maintenant visibles.

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