Stéréo fantastique, c’est une chronique musicale à plusieurs mains interchangeables où l’on présente des albums dans le style littéraire de notre choix. Ici on s’est laissé guider par le folk/rock progressif spirituel parce que le déploiement du printemps nous donne envie d’embrasser l’univers pis de voyager ben loin.
François Huard
Album : Ricochet (1975)
Artiste : Tangerine Dream
Flashback en 1989. Le CÉGEP, la Boustifaille, le demi-sous-sol des amis rue Parc où l’on échouait entre nos cours pour écouter des vinyles (et tout ce qui vient avec). J’y découvrais Meddle, L’Heptade, Foxtrot, etc. Bref on donnait dans le planant.
Alors quand on m’a demandé d’écrire une chronique sur un album de progressif spirituel, un vinyle usagé acheté à cette époque m’est spontanément venu à l’esprit: Ricochet du groupe Tangerine Dream. C’est avec grand bonheur que je l’ai redécouvert.
Sur ce live instrumental enregistré en 1975, le trio (P. Baumann, C. Franke et E. Froese) nous offre deux titres, Part 1 (face A) et Part 2 (vous l’aurez deviné, face B). Je vous décris la première partie et vous laisse le plaisir de découvrir la seconde.
L’ambiance s’installe avec un enchainement pesant de notes de synthétiseur qui hypnotisent et invitent à se caler à l’horizontale dans notre vieux divan. Embarquement pour si tard (*).
La guitare électrique entame alors un envoutant mantra de huit notes, qui, à force d’être répété, se fraye un chemin dans notre subconscient et altère doucement notre état. Propulseurs ioniques allumés.
Le tout est soutenu par des percussions qui se veulent de plus en plus insistantes, menant lentement mais surement à un paroxysme d’intensité et de complexité. Vitesse de croisière atteinte, mode Hyper-espace activé.
Le temps n’existe plus, des voix accélérées et inaudibles nous le confirment. Des claviers à la mélodie pseudo-aléatoire prennent alors le relais, nous accompagnant dans ce voyage intemporel.
Le mantra revient alors, tentant sans succès de se frayer un chemin parmi les claviers fous, faisant craindre une perte de contrôle.
Le synthétiseur initial, avec ses notes qui nous semblaient alors bien lourdes, vient clore la pièce. Il est maintenant rassurant. Nous sommes arrivés à bon port. La nuit sera douce.
(*) Émission nocturne (1987–1995) sur la chaine culturelle de Radio-Canada animée par Myra Kree qui y programmait fréquemment des musiques planantes et qui accompagna souvent l’auteur de ces lignes.
Essi Parent
Album : Science Fiction (2018)
Artiste : Church of the Cosmic Skull
Sortez votre t-shirt tie-dye, votre patchouli et votre encens, pesez sur play puis accueillez la révélation du crâne cosmique sous la forme d’un grand dôme de verre confinant un arc-en-ciel en Technicolor.
Par sa musique, les thèmes abordés et la manière de se présenter, le groupe Church of the Cosmic Skull et son deuxième album Science Fiction empruntent les codes des années 70. Les fans de Genesis et du rock progressif se retrouveront dans la pièce Paper Aeroplane & Silver Moon. D’autres pièces tendent davantage vers le folk (Revolution Comes With An Act Of Love) et le blues (The Cards That You’re Playing). L’incontournable pièce pop rock Cold Sweat, quant à elle, dégage autant qu’un succès d’ABBA une savoureuse odeur artificielle de banane.
Vous pourrez prendre plaisir à écouter Science Fiction en pièces détachées. Vous manquerez néanmoins l’essentiel d’un album-concept débutant avec un prêche (so he’s making the minds up of the millions and they’d never deny that he’s right), une démarche spirituelle réprimée (the soldiers feet marching in time to the laughing of a fool), un déni de sa condition (you never woken with a cold sweat, no you never talk about it), une fuite cosmique (gonna build a rocket tonight, fly it off of Jupiter), un rêve vaporeux mais révélateur (there you were with flowers in your hair, but when I reach for you I see the image fading), et enfin, une main tendue:
In the end it’s just a game
Gonna go and see the devil again
Don’t you know he only wanted a friend
– The Devil Again, Church of the Cosmic Skull
Le groupe, qui se définit également comme une organisation religieuse, dégage une aura de spiritualité hippie avec le sérieux d’un clown en crise existentielle. Néanmoins, on oublie vite la moquerie d’une explicite mise en scène pour se laisser entraîner dans le flux de l’éther dégagé par chacune des perles enfilées autour d’un crâne cosmique qui pourrait bien être le sien.
Sylvain Bérubé
Album : Ommadawn (1975)
Artiste : Mike Oldfield
Ça ne peut pas être un hasard que cet album soit sorti la même année que Les cinq saisons d’Harmonium. C’est comme si Serge Fiori et Mike Oldfield s’étaient lancés pour défi de composer une trame sonore permettant de se lier au sublime autour de nous et en nous.
Part 1 (19:05)
0:00 On pénètre une forêt enchantée peuplée de créatures mystérieuses et parsemée de châteaux de bois, rappelant une époque à la fois passée et futuriste. On réalisera bientôt ne pas être « avant » ni « après », mais plutôt « ailleurs ».
4:15 Le ciel se découvre, l’inquiétude première se dissipe, les violons nous invitent à la fête et on y va tout sourire. L’atmosphère éthérée met en confiance, notre abandon au moment présent est total. On danse au-delà de notre fatigue.
12:28 Après un court moment de calme, bercé par des synthétiseurs apaisants, un chœur gaélique émerge sur des rythmes de batterie aux sonorités africaines. On se connecte à ce qu’il y a de plus vivant en nous. Le tout évolue vers un rock progressif déjanté.
Part 2 (On Horseback) (17:20)
0:00 On est encore dans l’ailleurs, comme s’il y avait eu une odyssée de l’espace au Moyen Âge.
5:00 Étonnant revirement, les cordes s’emparent de la musique et effacent tout ce qui a précédé. On se retrouve à l’aurore de quelque chose de beau, une première pelletée de terre, un amour naissant, la fin de dépression.
10:10 On n’est pas au bout de nos joies, la grandeur de la vie s’exprime maintenant symphoniquement, ça rock, ça folk, ça bouscule en douceur pis ça aime.
13:54 Hey and away we go | Through the grass, across the snow | Big brown beastie, big brown face | I’d rather be with you than flying through space.