Parmi elles, nombreuses sont des parents qui tentent d’améliorer leur condition maintenant que leurs enfants sont un peu plus âgés. D’autres, issues de l’immigration, doivent reprendre leur formation parce que leurs compétences acquises à l’étranger ne sont pas reconnues. La plupart de ces étudiantes sont issues de milieux populaires, dotées de riches expériences de vie et de travail qui profitent à l’apprentissage en classe et aux milieux de stage. De manière générale, elles ont décidé de mettre leur vie sur «pause» pour quelques années, avec l’ambition de vivre quelque chose de plus beau, de plus grand que ce que la vie leur a offert jusqu’alors. Certaines confient d’ailleurs «faire quelque chose pour elle-même, pour la première fois». Mais à leurs frais bien entendu. Elles auront à s’endetter ou à être en situation de dépendance envers un conjoint ou leur famille pour étudier. Bref, elles payent pour travailler.
Cette situation n’est pas surprenante, puisque la majorité des stagiaires impayé.es ou sous-payé.es au Canada sont des femmes. Les programmes où nous enseignons sont dans les domaines traditionnellement et encore majoritairement féminins. Même une fois sur le marché du travail, ces emplois restent sous-payés.
Toutefois, comme enseignant.es, cette situation nous pose problème, puisque l’apprentissage et l’échange pédagogique ne peuvent pas s’effectuer dans ces conditions injustes et absurdes. Comme cette aspirante technicienne à l’enfance, issue de l’immigration, qui échoue son stage, car elle a dû s’absenter faute de réseau familial et d’argent pour faire garder son enfant. Ou cette stagiaire en travail social qui doit manquer plusieurs cours pour pallier la surcharge de travail de son milieu de stage dans un groupe communautaire, un secteur sous-financé par l’État. Ou encore, comment réagir quand une étudiante en éducation spécialisée doit abandonner son stage parce qu’elle y a développé des problèmes de santé mentale (de l’anxiété, un burn-out, une dépression)? Qu’elle n’est pas faite pour la job? Devons-nous dire à une stagiaire infirmière qu’elle n’a pas la tête de l’emploi, si elle arrive épuisée le matin à son stage à la suite d’un quart de travail de nuit, pendant que sa mère garde les enfants à la maison? Voici le casse-tête que constituent, pour la plupart, les problèmes de conciliation entre le travail salarié et le travail gratuit.
Le gouvernement Trudeau veut rendre illégaux tous les stages non rémunérés effectués hors du cadre des études dans les secteurs qui relèvent des compétences fédérales. Il est impératif de rendre illégaux tous les stages impayés dans les domaines de compétence provinciale, incluant ceux effectués durant les études. Il importe également de reconnaître leur statut de travailleuses, pour qu’elles puissent accéder aux protections prévues dans les normes du travail et dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Ces stagiaires paient pour offrir des services de première ligne et des soins à des milliers d’êtres humains. Pire, c’est directement sur leur dos que se font les coupures de l’État dans les services à la population. Depuis la crise économique de 2007-2008, le nombre d’heures de stages impayés a littéralement explosé et va en augmentant. Ce n’est pas parce que les stagiaires ont opté pour un travail traditionnellement effectué gratuitement par les femmes dans des institutions religieuses ou dans les familles qu’elles doivent accepter d’être traitées injustement. Heureusement, de plus en plus d’étudiant.es prennent la parole et refusent qu’on légitime leur exploitation par la vocation de leur orientation scolaire. Nous appuyons donc la lutte actuelle pour la rémunération de tous les stages, que ce soit à l’université, au collège ou dans les écoles de formation professionnelle.
Les signataires sont enseignant.es au collégial: Louis-Gilles Gagnon, Dominic Hébert Sherman, Vanessa L’Écuyer, A. Hadi Qaderi, Benoit Tellier, Camille Tremblay-Fournier.