Sophie et ses hommes (Saison II, Épisode 3) : Le placard

Date : 21 Décembre 2021
| Chroniqueur.es : Sophie Parent
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C’est déjà le marathon de la consommation qui s’amorce, des bonnes résolutions qui ne tiennent pas et le retour tant attendu [ou pas] des soupers des fêtes en famille.

Peut-être qu’il me manque trop d’heures d’ensoleillement en banque pour me réjouir, parce que tout ce que ça suscite chez moi, c’est de la lassitude ou de l’indifférence.

Avec la COVID-19, j’avais pu esquiver bon nombre de soirées en famille, mais je n’ai pas l’impression que j’aurai la même chance cette année… Non, même que j’ai plutôt droit à une conversation Messenger de groupe pour constamment me rappeler qui est-ce qui a réservé la salle et qui est-ce qui s’occupe de la tourtière (rôle vénérable, j’en conviens). Ça me permet aussi de me rappeler que certains ont du mal avec la touche majuscule de leur clavier, ou encore à discerner les fake news des vraies.

Dans ce joyeux brouhaha des festivités, j’me sens un peu toute seule.

« Est-ce que t’amènes ton nouvel amoureux ? 

– T’as-tu un p’tit chum ? Me semble que j’t’ai vu avec quelqu’un…

– Ça s’peut pas, une belle fille comme toi célibataire! »

Ces commentaires, ils partent tous d’une bonne intention, d’un sincère intérêt de savoir ce qui se passe dans ma vie. Or, ils sont aussi très normatifs, très prescriptifs. Comment est-ce que je suis censée y répondre, si je n’ai pas d’amoureux ? Si j’en ai plusieurs ? Si c’est une femme ?

Bien sûr, je suis loin d’être la première ou la dernière à ressentir cela. La situation s’est d’ailleurs beaucoup améliorée, et de temps à autre on va ajouter à ces questions un « ou une amoureuse ? », les luttes LGBT y étant sans doute pour quelque chose. Cependant, j’ai l’impression que dans le discours public, seule l’homosexualité est acceptée et sincèrement comprise. Le transfert de connaissance ne semble pas s’être fait pour les questions de transidentité, de fluidité des genres ou des amours au pluriel. Même au niveau de la bisexualité, j’ai l’impression que comme société, on galère encore. Un peu comme s’il avait été appris par cœur que l’homosexualité était acceptable, sans que l’on comprenne vraiment les raisons derrière.

Alors, me voici, tout juste avant Noël, à m’entendre

répondre par automatisme que « non-je-n’ai-plus-d’amoureux-ça-n’a-pas-marché-on-ne-voulait-pas-les-mêmes-choses-mais-on-reste-amis » et autres paroles creuses pour expliquer une rupture sans rien dire. Pour ne pas sortir du placard, entre deux services d’un gargantuesque repas en famille, et étaler que c’est surtout pour une question d’orientation que ça n’a pas marché.

Fort heureusement, il y a les personnes qui savent et qui comprennent.

Au travers tout le stress d’une double vie, il y a cette famille – qui peut être biologique, mais qui est aussi souvent choisie – qui sait et qui nous aime quand même. C’est la famille que l’on peut laisser entrer avec nous dans le placard, et avec qui il est possible de festoyer à des dates moins conventionnelles, entre Noël et le jour de l’an.

Albert Camus disait «  qu’on ne peut vivre qu’avec les êtres qui vous libèrent, et qui vous aiment d’une affection aussi légère à porter que forte à éprouver. La vie d’aujourd’hui est trop dure, trop amère, trop anémiante, pour qu’on subisse encore de nouvelles servitudes venues de qui on aime.  »

S’il est vrai que la famille est importante, alors il est important de s’en choisir une qui est aimante et dont l’affection sera difficile à éprouver.

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