Traduction et adaptation de l’article Mother’s Day for Peace de Ruth Rosen.
Aujourd’hui, dimanche 8 mai, une semaine après la journée internationale des travailleuses et des travailleurs, ce sera au tour des mères d’être célébrées partout au Québec. À priori, ces deux célébrations semblent avoir bien peu en commun : d’un côté, des revendications sociales avec slogans et pancartes lors de rassemblements de masse dans la rue ; de l’autre, l’expression de bons sentiments avec cartes Hallmark et bouquets de roses remis lors de rassemblements familiaux au restaurant. De plus, si d’aucuns considèrent la fête du Premier mai comme secondaire, la fête des Mères est une véritable institution : nous avons beau être plusieurs à dénoncer l’hypercommercialisation d’une telle journée, il demeure impensable d’ignorer sa mère en cette journée. Et quelle mère ne sera pas dévastée si ses rejetons ne l’honorent pas au moins une journée dans l’année ?
La fête des Mères n’a pas toujours été vécu ainsi. En fait, les femmes qui ont conçu cette journée seraient déconcertées par les publicités omniprésentes qui nous traquent pour trouver « le cadeau parfait pour maman ». Ils s’attendraient plutôt à voir les femmes marcher dans les rues au lieu de manger dans les restaurants avec leurs familles. C’est parce que la fête des Mères a d’abord été une journée pour commémorer l’activisme des femmes et non une célébration du dévouement d’une mère à sa famille.
L’histoire commence en 1858 où Anna Reeves Jarvis, une activiste du milieu communautaire, a organisé le « Mothers’ Works Days in West Virginia ». Son but immédiat était d’améliorer l’hygiène et les conditions de vie dans les communautés appalachiennes. Pendant la guerre civile américaine (1861–1865) opposant l’Union à la Confédération, Jarvis a encourager les femmes à prendre soins des blessés des deux côtés. Après, elle a organisé des assemblés pour persuader les hommes de mettre en veille leurs hostilités guerrières.
En 1872, Julia Ward Howe, auteur de « Battle Hymn of the Republic », a proposé la création du jour annuel « Mother’s Day for Peace ». Active à enrayer la guerre, Howe a écrit : « Nos maris ne viendront pas chez nous en sentant le carnage… Nos fils ne nous seront pas enlevés pour désapprendre tous ce que nous avons pu leurs enseigner de la charité, de la pitié et de la patience. Nous, femmes de ce pays, serons tendres à l’endroit des mères des autres pays en ne permettant pas à nos fils d’être formés pour blesser les leurs ».
Pendant les trente années suivantes, les Américains ont célébré le « Mothers’ Day for Peace » le 2 juin.
Au 19e siècle, beaucoup de femmes de la classe moyenne ont cru qu’elles avaient une responsabilité spéciale, en tant que mères réelles ou potentielles, d’entretenir les « blessés » (au sens large) de la société et de transformer l’Amérique en nation plus civilisée. Elles ont joué un rôle majeur dans le mouvement abolitionniste (suppression de l’esclavage). Au cours des décennies suivantes, elles ont lancé des campagnes réussies contre le lynchage et la fraude envers les consommateurs, et elles ont milité pour l’amélioration des conditions de travail des femmes et la protection des enfants, l’obtention de services de santé publique et l’assistance sociale aux pauvres. Pour ces activistes, le lien entre la maternité et le combat pour la justice sociale et économique semblait naturel.
En 1913, le congrès américain a déclaré le deuxième dimanche en mai pour être la fête des Mères. Plusieurs pays les ont rapidement imité. À ce moment, l’accroissement de la consommation avait redéfini les femmes comme consommatrices pour leurs familles. Les politiciens et les hommes d’affaires embrassèrent ardemment l’idée de célébrer les sacrifices privés faits par les mères. Comme l’a exprimé clairement la revue Florists’ Review, le jounal commercial de l’industrie floral, « [la fête des Mères] est une journée qui pourrait être exploitée. »
L’industrie naissante de la publicité a rapidement enseigné aux citoyens comment honorer leurs mères : en achetant des fleurs. Outragé par les fleuristes qui vendaient des œillets pour le prix exorbitant de 1 $ la pièce, la fille d’Anna Jarvis a initié une campagne contre ceux qui « minerait la fête des Mères par leur cupidité. » Mais sa lutte fut vaine. Quelques années plus tard, la Florists’ Review a triomphalement annoncé que c’était « Mlle Jarvis qui a été complètement écrasée. »
Depuis, la fête des Mères est devenue une industrie engendrant plusieurs milliards de dollars.
Avec un peu d’imagination, nous pourrions rétablir la fête des Mères comme journée célébrant l’avènement politique des femmes dans la société. Durant les années 80, quelques groupes de paix se sont réunis aux emplacements d’essai nucléaires le jour de la fête des Mères pour protester contre la course aux armements. Aujourd’hui, notre plus grande menace n’est pas nos missiles, mais notre indifférence envers le bien-être humain et la santé de notre planète. Imaginez le jour de la fête des Mères rempli de voix exigeant la justice sociale et économique et un futur soutenable. Que la fête des Mères soit, d’une certaine façon, le prolongement de la fête des travailleurs. Et ainsi retrouver l’esprit initial de cette journée.
Certains trouveront insultant l’idée de changer notre manière courante de célébrer le jour de la fête des Mères. Mais l’activisme public n’exclut pas des expressions privées d’amour et de gratitude, ni d’exprimer cette satisfaction toute l’année durant.
Les femmes du 19e siècle ont osé rêvé à une journée honorant l’activisme civil des femmes. Nous pouvons faire la même chose. Nous devrions honorer leur vision de l’activisme civique.
Ruth Rosen, féministe, est professeur d’histoire à University of California, Berkeley.
Sylvain Bérubé, féministe, est chargé de cours à l’Université de Sherbrooke et coordonnateur du journal Entrée Libre.