Deux mois entiers sur le dos à l’hôpital, souffrant d’une spondylite aigüe qui aurait dû me laisser paralysé, j’y ai reçu deux visites du fervent nationaliste québécois Daniel Gingras venu par les transports en commun de Laval à Sherbrooke et deux mots d’amies juives : une pratico-pratique recommandation d’un docteur du Jewish par Honey Dresher (non merci; il y a de bons docteurs à Sherbrooke ce que Christine Labrie proclamerait malgré la légitimité de ses attaques contre la direction toxique!) et plus tôt par la Torontoise Margaret Atwood : « Good lord! I hope you recover soon! Best wishes, Margaret. »
Après mon intro qui sacrifie à la lassante mode contemporaine d’évocation de vécus douloureux anecdotiques personnels (aucun lancement d’événement artistique personnel n’y échappe plus), laissez-moi vous parler de ce qui devrait vous intéresser par-dessus tout, ce livre fantastique que j’ai traîné à chacune des longues périodes d’attente pour mes visites médicales et qui fut favorablement commenté, davantage par des infirmières sympathiques que par des docteurs surmenés.
Une femme libre
Réfutant l’appellation féministe ou pacifiste par horreur de toute étiquette, l’humour inclassable de Margaret traverse ce bouquin inénarrable mais tout-à-fait irrésistible. Si elle avait été élue première ministre ou seulement gouverneure générale du Canada, j’aurais été le plus patriote des Canadiens! Une phrase au hasard :
« Nous risquons bien davantage de mourir dans un accident de voiture ou en glissant dans notre baignoire que d’être trucidés par des agents ennemis, mais il n’est pas facile d’exploiter ce genre de morts pour semer la panique [allusion prémonitoire des alertes antichinoises de notre Chambre des Communes]. (…) Vous ne pouvez [vous] protéger qu’en restant sous la surface de la mare aux grenouilles : ne sortez pas la tête de l’eau, ne coassez pas trop fort et, vous assure-t-on, tant que vous ne ferez rien de « mal » – une notion fluctuante – rien de grave ne pourra vous arriver. Jusqu’à ce que cela arrive.
Et comme la liberté de presse aura déjà été supprimée et toute indépendance de la justice abolie, quand tous les écrivains, chanteurs et artistes indépendants auront déjà été réduits au silence, il n’y aura plus personne pour vous défendre. (…)
La prison est devenue un entrepôt où on remise les gens. (…) Aux États-Unis, les jeunes hommes noirs sont sur-représentés, au Canada, ce sont les Premières Nations. (…) Notre liberté ne nous libère pas d’un grand nombre de choses qui peuvent finir par nous tuer, à commencer par notre baignoire. Liberté par rapport aux substances chimiques toxiques dans l’air et dans l’eau? Liberté par rapport aux inondations, aux sécheresses et aux famines? »
Celle qui a passé une bonne partie de sa jeunesse dans la forêt abitibienne québécoise et y est retournée en 1976 avec sa fille de trois mois dans une cabane en rondins sans eau ni électricité aurait mentionné aujourd’hui les feux de forêt qui brûlent l’Alberta et la Nouvelle-Écosse, dont les citoyen-nes ont la « liberté » de payer avec leurs taxes des dizaines de milliards de $ pour des chasseurs-bombardiers équipables de bombes atomiques : ce sont les F-35 auxquels aucun des partis fédéraux ne s’est objecté, alors qu’on pourrait multiplier les Canadairs, surnommés «pélicans» en raison de leur forme et de leur capacité à ouvrir leurs gueules pour remplir leurs soutes en vol rasant sur les plans d’eau. Imaginez le crédit diplomatique d’un Canada qui prêterait ces avions-sauveurs à l’Espagne, à la France ou à la Californie (y reste-t-il un plan d’eau utile à cette fonction?).
Fan de notre littérature
Publié en langue française, ce bouquin comporte, parmi ses plus importants chapitres en nombre de pages, des éloges dithyrambiques à Marie-Claire Blais, résidente de Key West en Floride (intitulé CELLE QUI A TOUT FAIT SAUTER) et à la manitobaine Gabrielle Roy (neuf parties en 20 pages!), alors qu’Alice Munro et Rachel Carson capturent son attention écologique: on ne peut lui en vouloir de méconnaître nos pionniers Pierre Perreault, Frédéric Back et les écologistes de l’UQAM Pierre Dansereau, Lucie Sauvé et Louise Vandelac1 qui ne reçoivent pas l’attention médiatique qui leur est due au Québec!
En analysant brillamment la Belle bête (1959), Margaret compare, très avantageusement à l’également précoce Françoise Sagan, MC Blais d’ailleurs membre des AplP toute sa vie :
« Blais exprimait à dix-neuf ans cette sensibilité canadienne francophone bouillonnante, en effervescence – formée par des décennies de mini-dictature duplessiste et par la politique confessionnelle de la « revanche des berceaux », avec ses familles de 15 enfants obligatoires. Ces forces avaient déjà façonné Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy et devaient se manifester, peu après en 1970, dans Kamouraska, le remarquable roman d’Anne Hébert.»
Margaret poursuit son éloge ainsi :
« La richesse, la diversité, l’inventivité de cette écriture sont inhabituelles dans la littérature québécoise, dans la littérature canadienne et, en fait, dans l’ensemble de la littérature. Marie-Claire Blais est sui generis, elle n’appartient à aucune clique, n’adhère à aucune religion sinon celle de l’art, elle explore constamment. (…) On ne saurait imaginer notre littérature sans elle. »
Et c’est écrit avant la mort prématurée de Marie-Claire il y a un an et demi.
1 À l’intention de Margaret qui en a truffé son œuvre, note savante: « Les ventes de pesticides ont explosé en 2021 au Québec. Pour la première fois en 30 ans, elles ont atteint 5 millions de kilogrammes d’ingrédients actifs, et ce, malgré les objectifs de réduction de l’utilisation des pesticides que la province s’était fixés », selon Louise Vandelac, directrice du Collectif de recherche écosanté sur les pesticides, les politiques et les alternatives (CREPPA) qui mentionne des répercussions : « Le problème, c’est qu’il y a certains pesticides bio, non pas biologiques, mais ce qu’on appelle des biopesticides, qui ont des effets significatifs. Je pense à la Roténone, par exemple, qui a été retirée du marché et qui est associée au Parkinson ».