Que ce soit la tradition celte de l’Halloween, arrivée aux Amériques par les colons irlandais et écossais, ou le syncrétisme catholique qui a fusionné ces traditions païennes dans la célébration des défunts de la Toussaint, le mois de novembre est résolument le mois du «brrrr». Le son de la peur des esprits et de la nuit qui tombe brutalement, tout comme celui de la brume et du froid qui investissent nos corps comme nos âmes. Les cultures ancestrales célébraient la saison des récoltes passées, et la vie qui quitte peu à peu les champs, dans l’attente d’une nouvelle saison. Les catholiques ont construit sur cette base un moment de souvenir de tous ceux qui nous ont précédés.
Cette année, novembre apporte un autre évènement qui fait froid dans le dos et appelle au souvenir. Il y a cent ans, les cloches de toutes les églises d’Europe et (probablement) du Canada, se mettaient à sonner. Le 11 novembre 1918, l’armistice était signé et le canon se taisait enfin sur les malheureux qui avaient passé quatre ans, trois mois et quatorze jours dans la boue, la puanteur, le froid, la faim et bien sûr la peur. Une libération aussi pour celles et ceux qui espéraient leur retour.
La tragédie de ce conflit, c’est d’avoir envoyé quelques 10 millions d’hommes mourir sans raison particulière. L’assassinat d’un archiduc là-bas en Yougoslavie ne peut pas expliquer ce drame. Au Canada, se sont en tout 650000 jeunes hommes, car on est soldat à 20 ans et pas à 40, qui vont participer au conflit en Europe. Il y aura 65000 tués et 150000 blessés, soit un tiers de l’effectif qui a participé au conflit. A Sherbrooke, ce sont 248 noms d’hommes morts dans cette guerre qui sont inscrits sur le cénotaphe de la rue King, inauguré le 7 novembre 1926 devant une foule de 15000 personnes (Marie-Eve Gingras, La Tribune, 9 novembre 2009). Un tel rassemblement nous laisse entrevoir quelle a été la portée de ce conflit, pour les Sherbrookois et Sherbrookoises. D’autres souvenirs sont présents dans la ville: rue de Vimy, du nom d’une colline en France où sont morts 3600 Canadiens et Britanniques et qui abrite aujourd’hui le mémorial des soldats canadiens morts en France; rue d’Ypres, ville de Belgique où quatre batailles majeures se sont déroulées entre 1914 et 1918, avec l’utilisation pour la première fois des gaz de combat (pour un total côté alliés de 700000 morts, blessés et disparus); rue de Courcelette du nom d’un village de France où les troupes canadiennes ont combattu pour la première fois dans cette guerre, avec le premier engagement des chars de combats.
Des chiffres à donner le tournis et la nausée, la Première Guerre mondiale en a à chaque ligne de son histoire. Un parmi tant d’autres, lu dans «Putain de guerre» de Jacques Tardi: un défilé par rang de 8 sur les Champs Élysées de tous les soldats français morts pendant la guerre prendrait 12 jours et 12 nuits…
Les célébrations du 11 novembre se déroulaient avec des représentants des anciens combattants de la guerre. Pour les enfants et jeunes hommes qui voyaient ces vieillards en uniforme, la Grande Guerre restait une affaire du passé, qui ne concernait que des «vieux». Tous ces vieux sont morts maintenant. Il reste nous, les jeunes incrédules de l’époque. Pour donner du corps à ce carnage et ce gâchis d’histoires individuelles, les mots de Jacques Tardi – encore et toujours lui lorsqu’il s’agit de cette «putain de guerre» – rappellent l’humanité des noms gravés sur les monuments de souvenir: «Le 11 novembre, on médaille un «vieillard». Il avait vingt ans en 1915 et on l’a dépossédé de sa jeunesse et de son avenir. Alors, te moque pas…».