Une critique sans trop divulgâcher.
Captivant, curieux, intime.
Goethe disait que « l’audace renferme en soi génie, pouvoir et magie », il resplendit à travers ce film emmené à merveille par un quatuor d’actrices dont c’était le premier film Katherine Savard, Ariane Mainville, Hilary Caldwell, Cailin McMurray, un relais qui fonctionne entre la natation et le cinéma.
Pascal Plante est un nom qu’il faudra retenir dans le paysage cinématographique du Québec, mais également mondial. Un nom qui s’inscrit, avec son dernier film, Nadia, Butterfly, dans la liste de la sélection officielle de Cannes 2020.
Talentueuse nageuse professionnelle, Nadia, 23 ans, se noie dans ses doutes d’une future retraite au moment où elle entame sa dernière course.
Nadia est cette jeune femme qui essaye, tant bien que mal, de se mouvoir dans cette solitude paradoxale, tant voulue que non voulue, coincée dans cet arrachement à soi, bloquée à travers cette identité sportive et à l’étroit dans ce monde qui l’a façonné et aux promesses d’avenir éphémères.
Pascal Plante (Les faux tatouages, Nonna, etc.) donne à voir l’avenir du sportif de haut niveau, montré sans filtre, sous ce regard nouveau qui épluche toutes les couches de la psychologie de Nadia.
La caméra très proche et la bande sonore, flirtent avec les émotions, l’intimité de ce personnage que l’on voit grandir et s’émanciper au fur à mesure que le film se déroule.
Nadia, Butterfly est, avant tout, une promesse, tenue, de voir autre chose que la victoire finale, celle qui compte le plus, notamment lorsque le sportif se laisse supplanter par l’humain.
Entrée Libre a pu s’entretenir avec le réalisateur et scénariste Pascal Plante :
Souley Keïta : La première image d’un film est déterminante, est-ce que la compétition, peu importe laquelle, c’est un éternel retour en arrière jusqu’à un pénible deuil?
Pascal Plante : C’est sûr que cela culmine jusqu’à un deuil, car une carrière d’athlète est éphémère par définition. En natation, par exemple, pour une femme et pour un homme cela se termine très souvent vers la fin de la vingtaine, début trentaine. Ce sont des années où l’on se définit fortement par ce que nous faisons notamment lorsque nous nageons durant l’adolescence, mais également tout le long de la vingtaine et il faut couvrir ses arrières, pour l’après. Nadia est un personnage qui est lucide par rapport à cela, elle est prisonnière de son talent. Parfois, nous pouvons nous demander si elle aime réellement l’acte de nager. Est-ce que c’est son rêve à elle ou celui des autres? C’est un peu flou, mais une chose est sûre, il faut absolument que Nadia prenne le contrôle de sa vie pour devenir la personne qu’elle aspire à devenir pour le reste de sa vie. Le film est abordé sous l’angle psychologique et philosophique.
Souley Keïta : Dans certains de tes plans, on ressent parfois que le corps et la tête de Nadia ne sont pas en corrélation. Un corps, dans le flou et la tête dans le nette, peut-on dire que Nadia n’est jamais certaine, comme lorsqu’elle dispute une compétition, de la fin?
Pascal Plante : Il y a un décalage entre la tête et le corps, mais même par habitude. Il y a tellement de rituels dans ce quotidien. Finalement, dès que sa course est terminée, Nadia veut sortir de cela violemment, par contre ceci la rattrape notamment le lendemain lorsqu’elle refait ces rituels alors que Nadia n’a plus aucune raison de le faire. Par rapport à cela, nous pouvons voir qu’il y a un décalage entre ce qui se passe dans sa tête et les actions qu’elle fait, mais également avec ce que Nadia dit. C’est un défi scénaristique, car Nadia est un personnage qui est confus, elle agit d’une façon qui est parfois paradoxale, parfois contradictoire. Elle va dire des choses, lorsqu’elle manque de lucidité, et qu’elle va ensuite regretter, nommément quand il s’agit de parler de la natation, de ses coéquipières. Nadia tire un peu dans tous les sens.
Souley Keïta : Est-ce que Nadia est cette femme triste qui se meut et puis se noie dans ce monde solitaire et dans cette passion qui n’en est plus une? Est-ce qu’elle le fait de manière machinale comme un robot?
Pascal Plante : Je pense que l’on est un robot lorsque nous avons un point de mire précis, en l’occurrence, dans le film, c’est la course. D’ailleurs, c’est pour cela que la course est au début du film parce que si l’on veut creuser la psychologie d’un athlète, il faut connaître l’après. Pour ma part, je trouve peu intéressant la psychologie de l’athlète avant la course parce que tu sublimes toutes les autres émotions, tout ce qui peut aller se mettre en travers du chemin de ton objectif, tu le supprimes. Nadia a tellement supprimé toutes ses sensations, les émotions qu’elle voulait vivre que lorsque le film commence elle vient de faire une contre-performance, elle ne peut même pas vivre son deuil, car le lendemain, elle doit de nouveau concourir pour effacer cet échec et elle n’a pas le temps d’être triste au risque de rater cette dernière chance. La robotisation est établie par le cadre dans lequel l’athlète vit, notamment lorsqu’on est un sportif de haut niveau qui se fait dire quoi faire avec les entraînements, avec la nutrition, avec les massothérapies. Il y a toujours des gens autour de toi qui prennent des décisions pour toi et puis Nadia a également envie de sortir de cela.
Comme mentionné, Nadia se meut dans un profond mal-être, comme si elle traîne sans cesse un boulet. Cette femme doit réapprendre et laisser ce boulet derrière elle.
Souley Keïta : Il y a une image frappante notamment dans la scène du bassin glacé et cette impression que le pays passe en second plan par rapport à ses objectifs personnels et son bonheur.
Pascal Plante : Oui, absolument! Peut-être qu’elle est un peu plus québécoise que canadienne mais même cela est éphémère, c’est comme si elle n’appartient pas vraiment à quelque chose. Il y a une solitude de l’athlète même si l’on essaye de faire disparaître cela derrière un beau « gloss » olympique. Les Olympiques carburent au talent des athlètes amateurs qui passent des milliers d’heures à perfectionner leur art pour une organisation quelque peu vampirique. Ce n’est pas non plus une critique virulente ou une croisade contre les Olympiques, mais je pense qu’en 2020, le beau rêve olympique s’effrite et est de plus en plus remis en question.
Souley Keïta : Tu mets en lumière une scène qui est le reflet d’une société tant focalisé sur le physique et le visuel dénotant parfois les travers d’un monde sans cesse dans le jugement des autres. Je parle de la scène où l’on classe sur internet les sportifs et sportives par rapport à leur beauté.
Pascal Plante : Je pense que c’est lié au fait que les athlètes féminines n’ont parfois pas trop de visibilité dans les films de sport, mais il y a aussi le fait que pour l’athlète féminine, c’est particulier, car on dirait qu’en plus d’être bon dans son sport, il faut aussi qu’elle soit « fashionable », qu’elle fasse des couvertures de magazines, qu’elle soit sexy, etc. Chez les hommes cela est beaucoup moins présent comme si les canons de beauté étaient un peu plus standard. Une des thèses du film est qu’en fin de compte tous ces athlètes sont quelque peu des numéros, excepté Michael Phelps, Usain Bolt ou une autre mégastar qui transcende l’histoire, il y a quelque chose qui ramène les autres à un numéro.
Souley Keïta : Tu joues souvent avec des panoramiques entre Nadia et les autres, peut-on y voir à travers cela, une volonté de pousser Nadia à s’intéresser et à aller vers les autres?
Pascal Plante : Peut-être, parce que même la critique que Nadia professe et qui revient souvent est par rapport aux autres, qui sont dans le déni. Mais effectivement, il y a un peu l’égoïsme de l’athlète de pointe qui est un des thèmes du film. Ultimement, Nadia est comme eux, son amie lui dit qu’elle a prise des décisions sans considération pour les autres. Marie veut la mettre au pied du mur.
Nadia se place un peu comme le mouton noir se sachant déjà un pied en dehors de ce monde, elle se permet de le critiquer et d’en être un peu moins complice. Dans ce cas-là, ceci est également contradictoire, car comme dans l’expression « les bottines ne suivent pas les babines », ce que Nadia dit ou fait à une dissonance, car elle fait encore partie de ce monde, elle ne peut pas y échapper. C’est un film un peu curieux, un peu ovni, c’est particulier et l’on s’en souvient.
Retrouvez ce vendredi 18 septembre à La Maison du Cinéma un film qui va piquer votre curiosité et vous amenez à nager à travers les tumultes de Nadia.