MISTRAL SPATIAL

Date : 20 janvier 2023
| Chroniqueur.es : Souley Keïta
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Une critique sans trop divulgâcher. 

Retrouvez ce joli ovni dès ce vendredi 20 janvier à La Maison du Cinéma.

L’année cinématographique redémarre promptement avec un enthousiasme de retrouver des films uniques, à l’identité affirmée et qui, je l’espère, vous sortiront de votre zone de confort. Cette année cinématographique démarre sur les chapeaux de roues pour d’autres, notamment en dévorant des courts-métrages à PLEINS ÉCRANS, dans le premier festival québécois, qui chaque année ouvre le bal. Le rapport vous vous direz? Il apparaît sous le nom d’un créateur de cinéma, Marc-Antoine Lemire, qui nous avez subjugués avec son court-métrage Pre-Drink (récompensé au TIFF), et qui oscille entre son rôle de président du jury à PLEINS ÉCRANS (du 18 janvier au 29 janvier), mais également avec la sortie de son long-métrage Mistral Spatial.

Je parlais d’ouverture de bal, justement de ce premier long-métrage québécois à sortir dans les salles obscures, on va s’attarder sur ce qui fait de ce film une œuvre au registre unique.

Un film aux multiples visages.

Six ans après Pre-Drink, ce joli ovni artisanal, autofinancé, avec un long processus de création, écarte l’écran de notre salle de cinéma pour nous faire connaître sa multitude de visages. Dans un récit aux trois actes qui pose un regard sur les transitions psychologiques d’une rupture amoureuse, le protagoniste nous initie à son chemin de guérison, où d’ailleurs, chaque chemin est valable. C’est cela que vit Sam (Samuel Brassard), jeune ingénieur du son, qui voit sa relation avec Cat (Catherine-Audrey Lachapelle) prendre fin. Victime d’un black-out juste après, Sam va tant bien que mal essayer de comprendre, est-ce qu’il a été simplement foudroyé par cette rupture ou a-t-il été enlevé par des extraterrestres ?

De ce premier visage, de ce premier acte en 4:3, c’est souvent celui où tous les souvenirs de l’autre se jettent dans un carton avec ce ressenti d’étouffement que l’on éprouve dans le choix pertinent de ratio effectué par le réalisateur. On nous maintient comme le personnage la tête sous l’eau. Je mets également l’accent sur ces couleurs fades, ternes dans ce premier acte.

Le deuxième acte de la guérison, comme celui du film, nous déplace dans ce à quoi l’on se raccroche dans la vie de Sam, et cela est parfois irrationnel, parce qu’on veut croire que cela lui permettra de tourner la page. Dans cet acte en noir et blanc, où l’on ressent une certaine mélancolie pour un personnage qui pense qu’il peut résoudre sa guérison par un autre chemin, invraisemblable, et en faisant fi de ses tourments ou de ses amis. Pour ce chemin, je vous laisse le plaisir de découvrir le film.

Le troisième acte nous place dans une relation plus primitive, plus coloré lorsqu’on apprend sans doute à savoir tourner la page dans un ratio qui s’élargit au fur et à mesure que les actes s’écoulent.

Surprenant en tout point.

« Ce sont dans les vieux pots que l’on fait les meilleures confitures ». Certes, la rupture amoureuse a été tellement usitée au cinéma, comment lui donner un nouvel élan ? 

C’est cela qu’instaure le scénariste, réalisateur et producteur de Mistral Spatial, en surprenant par des choix cinématographiques assumés comme on l’a évoqué avec ces trois actes qui se dissocient et s’associent sur la guérison d’une relation. Surprenant également dans la relation que le spectateur crée avec le protagoniste, dans ce souhait où l’on veut croire que les improbables choses de la vie peuvent se réaliser et en délaissant ce rôle de juge pour simplement devenir témoin de la guérison de Sam. Un élément fondamental dans l’impact d’un film, celui de souhaiter le meilleur (ou le pire) à un personnage. Surprenant dans la manière de déstabiliser le spectateur, car finalement on ne prévoit jamais une fin.

Surprenant également dans sa composition sonore (qui a un rôle principal) et dans sa trame musicale qui nous embarque à travers un voyage sans retour.

Je n’oublie pas également la joute d’animation qui nous décompose et recompose les relations charnelles.

Entrée Libre débute cette année avec la première entrevue d’un long-métrage et notamment celui de Marc-Antoine Lemire :

Souley Keïta : Premières images, première question. Tu entames sur ce fond noir et une phrase qui marque la rupture de ce couple, puis peu de temps après tu fais suivre cette scène par un générique de fin. Est-ce que c’est que dans ce film il y a une fin à tout et qu’elle n’est pas si souvent dramatique ?

Marc-Antoine Lemire : Après cela, est-ce que la fin est dramatique ? Je pense que cela appartient au spectateur. Le film commence et nous sommes directement dans une rupture. Nécessairement, cela nous amène sur la fin de quelque chose, la fin d’une histoire. C’est pour cela que je voulais l’illustrer avec le générique d’entrée qui apparaît comme un générique de fin d’un film, car cela marque la perte de repaire, d’ancrage. On commence et on se dit que c’est déjà la fin d’une histoire. Au final, c’est aussi cela Mistral Spatial, d’avoir une envie de parler du deuil, dans ce cas-là, il s’agit du deuil amoureux. Le film est structuré pour suivre les étapes de quelqu’un qui vit avec cela, cette perte d’ancrage et qui essaye de se relever, de comprendre. Sa quête l’amènera à plusieurs places.  

Souley Keïta : J’aimerais que l’on s’intéresse à ton langage cinématographique et la structure de ton film. Tu nous invites à travers trois actes du deuil de la relation. Un premier acte où dans ce ratio 4:3 on empile la fin de la relation dans un carton. Un deuxième acte à la couleur de la nostalgie (en noir et blanc) et où le ratio est élargi. Un troisième acte coloré qui nous initie au renouveau. Peux-tu nous en parler un peu plus ?

Marc-Antoine Lemire :  C’était assez clair que ce qui me plaisait dans ce film, c’est cette envie d’élever mon langage du cinéma. Par cela, je veux dire les choix de cadre, les choix de lumière, les choix de musique ou de son. Tous ces éléments qui composent le langage du cinéma. Pour ma part, c’était assez évident de les mettre à profit de la psychologie du personnage que l’on suit. Par cela, j’entends que tout ce que Sam vit, j’essaye de l’amplifier par le langage. C’est pour cela que le film commence de façon plus dramatique, mais au fur et à mesure, il y a des éléments plus surréalistes qui s’imposent dans la quête de Sam et j’essaye d’y apposer plus de liberté dans le langage tout en me focalisant sur le point de vue de Sam avec cette question en tête, comment se sent-il? 

Par exemple dans la transition entre l’acte I et l’acte II, il y a un moment pivot qui est important où Sam réalise qu’il est victime d’un événement. À partir de ce moment-là, j’ai choisi d’élargir un peu plus le cadre et de donner plus de place à l’atmosphère, aux décors, car tout cela devient plus menaçant et de recherche du mystère autour de lui. 

En choisissant le noir et blanc, j’ai essayé d’être un peu plus dans sa tête, de brouiller les pistes entre la réalité, le rêve, l’hallucination, mais également sur la temporalité, puisqu’on ne sait pas trop si c’est le jour ou la nuit.

Dans l’acte III, on souligne une remise en question et se laisse aller. Une sorte de guérison où il passe du côté cérébral à un côté plus animal.

Souley Keïta : Est-ce que pour Sam, dans le premier acte, et dans ton choix de ratio, la séparation est une boîte en carton qui restreint ses mouvements ? 

Marc-Antoine Lemire : Oui, c’était absolument ce que l’on voulait faire ressentir avec l’utilisation du 4:3. Un ratio petit et il était assez clair qu’après la rupture, il fallait que l’on se réveille avec Sam dans cette ambiance de claustrophobie, anxiogène, avec cette perte de repère. 

C’est un cadrage qui est parfait pour filmer des visages, mais on ne voit pas souvent ce qu’il y a autour. Tout à coup, il y a beaucoup d’angles morts. Tu évoques l’idée de boîte en carton et je pense que cela appartient aux spectateurs de définir ce milieu, de mettre leurs propres mots pour qualifier ce qu’ils ressentent. Il est évident que tous ces choix ne sont pas anodins, je sais que le film passe d’un visuel, à un autre, avec un côté parfois drastique, mais pour moi, je n’avais pas envie d’un film superficiel ou que ce choix ne sont pas affirmés. Dans mes intentions de base, il y a deux quêtes qui se confrontent, mais qui sont aussi liées et c’est cela que le spectateur va découvrir.

Souley Keïta : On s’embarque dans ton film et avec Sam dans cette histoire d’extraterrestre, est-ce que finalement renouer dans une nouvelle relation, c’est faire la rencontre du troisième type ?

Marc-Antoine Lemire : Je pense que cela peut être le cas, mais ce n’est pas obligatoire. Dans tous les cas, je pense que c’est faire une rencontre, cela ne veut pas assurément dire que c’est la rencontre avec quelqu’un, avec quelque chose. Une rencontre c’est aussi se connecter à quelque chose. Il y a plusieurs façons, d’ailleurs la façon dont Sam le montre, c’est d’essayer de tout comprendre, mais il va se rendre compte dans le film que cela n’est pas nécessairement utile. Plus il essaye, plus il confirme ses propres doutes en tombant dans sa paranoïa. Sans doute qu’il faut apprendre à se laisser aller. Si on reçoit de nouvelles choses qui peuvent paraître effrayantes, on peut simplement les accueillir. La nouveauté n’est pas forcément une menace.   

Souley Keïta : En prenant Sam qui exerce comme ingénieur son, cela me fait replonger dans Blow out de Brian de Palma, avec Jack qui exerce le même métier. Vois-tu dans ton personnage quelqu’un qui n’est pas capable d’entendre ses amis ou son ex-conjointe ?

Marc-Antoine Lemire : C’est intéressant, car je pense que c’est quelqu’un qui est guidé beaucoup par son instinct. Il est vrai que les gens qui l’entourent se prononcent, comme son ami Alex qui s’en fait beaucoup pour lui. Alex tente de le convaincre, car il a des préoccupations pour Sam et c’est pour cela qu’il lui évoque ses craintes. Tout au long du film, Sam entend les extraterrestres et cet appel est plus fort que celui de ses amis, car de toute façon, il vit cet appel des extraterrestres qui lui génère des émotions très puissantes. On s’entend qu’il est parfois difficile de contrôler nos émotions, nos peurs. Je pense que ses amis manquent d’écoute en étant peu réceptifs, même s’ils aiment Sam.

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