Dans les palmarès des meilleures ventes depuis sa parution, le livre de Catherine Dorion, « Les têtes brûlées : Carnets d’espoir punk » chez Lux, est un feuilleton, efficace et accessible, de son passage à l’Assemblée nationale de 2018 à 2022.
Si la lecture est plaisante et stimulante, elle n’en porte pas moins sur un sujet difficile, soit le lent épuisement d’une politicienne talentueuse qui se retrouvera, en tout début de mandat, dans l’épicentre d’un ouragan coton ouatéien et de moult autres « controverses » dont les médias raffolent.
Les têtes brûlées, c’est un peu le journal intime qui détaille les étapes d’une grande désillusion (sur l’utilité très relative du travail de parlementaire notamment), de la déception (devant le contrôle exercé par la « direction » du parti) à la tristesse en passant par l’anxiété et l’épuisement.
Comme ces 36 heures au chalet, couchée devant le poêle à manger des beurrées de beurre de pinotte. Dorion tombe sur de vieux journaux d’il y a deux ans : « Me reviennent des souvenirs fugaces de telle ou telle nouvelle qui inondait notre espace mental collectif il y a longtemps déjà, ainsi qu’une nette impression de ridicule et de pitié pour ces journaux et pour nous tous », écrit-elle.
Ou encore la fois où elle organise une soirée pour discuter d’épuisement et du diktat de la performance dans nos sociétés capitalistes. Une soirée réussie pendant laquelle Dorion se retrouve elle-même à angoisser sur… sa performance. « Mon cœur bat à tout rompre. Je viens d’organiser une soirée sur la pression de performance, le stress et l’obsession du travail et je suis plongée à ce moment même dans une anxiété intense. La mise en abîme par excellence. »
Une histoire triste
Malgré la tristesse du propos, Catherine Dorion insiste néanmoins en entrevue sur l’espoir qui l’habite toujours : « Ce livre-là c’est pas pour dire que “ostie que c’est de la marde, checke ça !” C’est vraiment un geste d’espoir… Si on regarde les choses en face, sans se conter de niaiseries, en admettant que c’est décevant, on est plus proche de passer à l’étape suivante. Et c’est ce que je souhaite. »
Quoiqu’il en soit, son livre a été accueilli par plusieurs élu.e.s de QS avec commisération et remords. GND a trouvé son récit « bouleversant ». Christine Labrie a dit ressentir un sentiment de « culpabilité ». Émilise Lessard-Therrien s’en voulait de ne pas avoir été « davantage à l’écoute ».
Ses anciens collègues, Catherine Dorion refuse de les critiquer ouvertement. Les médias ont bien essayé, souligne-t-elle, de peindre un portrait « Catherine contre QS », suite à la sortie de son livre, mais tout n’est pas blanc ou noir.
À cause de l’historique du parti de gauche, Catherine Dorion pensait arriver dans un parti qui allait innover au-delà du progressisme de ses propositions. « La tension entre “faut être des parlementaires tout propres” et critiquer le système qu’on veut changer, cette tension a toujours été là à QS. Je pensais que j’arrivais dans un parti ou cette vision-là serait répandue dans les hautes sphères. Elle était répandue à la base, mais je me suis rendu compte qu’elle n’était pas répandue à l’Assemblée nationale, à l’aile parlementaire. Je me suis rendu compte qu’on était davantage dans le polissage et peaufinage de l’image, dans le marketing politique et la “conformisation” », explique-t-elle.
Entre les adeptes de la politique classique et les anti-systèmes, le débat ne semble pourtant jamais avoir eu lieu, et ce, même si Dorion affirme que « même chez les député.e.s, il y avait du monde de tous les bords. » Néanmoins, « à cause de la centralisation du pouvoir autour de Gabriel, le débat ne pouvait pas exister », regrette-t-elle.
Dommage, en effet, puisque ce débat aurait eu le potentiel de toucher autant au fond qu’à la forme de la politique partisane de gauche au Québec. Dorion déplore d’ailleurs qu’on ne prenne pas acte des succès de la droite qui, selon elle, réussit « à aller chercher l’émotion ». La droite, contrairement à la gauche et à QS, réussit à se positionner avec « l’instinct du mythe », analyse-t-elle. « L’humain a toujours fonctionné avec “c’est quoi ton personnage dans l’histoire ? Es-tu David ou Goliath ?” »
Aussi, Catherine Dorion plaide pour que la gauche renoue avec ces mythes qui ont fondé notre conscience collective et cesse de se contenter d’être comme le « nerd de l’université qui dit : “Moi je le sais”. »
La députée aurait aimé à jouer plus franchement ce genre de rôle, un rôle de « tribun ». Mais ce n’est là qu’un des rôles à jouer, insiste-t-elle. « La politique, c’est un effort de gang. Y’a des gens qui sont bons pour être des tribuns. Leur talent c’est de vulgariser, de raconter. Chacun, selon sa personnalité, doit former cette gang-là de lutte qui doit être composée de plein de gens différents… mais ensemble ! »
Une triste histoire
C’est probablement sous cet angle que l’histoire que raconte Catherine Dorion est la plus triste. En effet, comment cette cohorte de QS — formidable, bigarrée, intello, artiste — a pu échouer ainsi à se tenir, à se serrer les coudes, à trouver le moyen de harnacher les talents de chacun, au-delà des égos et des esties de lignes de comm ?
Oh certes, le blâme est à partager et Catherine Dorion pourrait certainement prendre sa part. Mais à la vue du résultat de la dernière élection québécoise, où QS a fait du surplace, ne devrait-on pas réfléchir un peu à la forme et au fond ? Serait-ce possible qu’avec l’absence de Catherine Dorion, qui cherchait tant à définir des personnages, à créer du mythe et du sens dans cette lutte politique, QS se soit retrouvé en manque d’histoire à raconter ?