Entrée Libre a interviewé Bernard Sévigny, Hubert Richard, Denis Pellerin et Roy Patterson, les quatre candidats à la mairie de Sherbrooke, et leur a posé des questions sur les mêmes sujets pour que vous puissiez comparer leurs positions respectives.
La mobilité durable
Sherbrooke a adopté cette année un «Plan de mobilité durable» qui est le fruit d’un long processus de consultations et de débats entre plusieurs partenaires de différents milieux. Des experts internationaux ont été consultés, et le maire Sévigny est très fier que Sherbrooke soit l’une des premières villes au Québec à se doter d’un tel plan.
En entrevue, M. Sévigny est à peu près incapable de nommer deux mesures du plan de mobilité durable qui, selon lui, auront un réel effet sur la manière qu’ont les Sherbrookois de se déplacer. Quand on lui pose la question, le maire est clairement mal à l’aise : «Euh, là, le plan de mobilité durable, je ne l’ai pas lu ce matin», sert-il en guise d’excuse. Déstabilisé, il affirme que s’il avait su qu’Entrée Libre lui poserait une question là-dessus, il aurait revu ce matin-là les 18 propositions du plan et nous les aurait «récitées». Après avoir tenté d’éviter la question, il nomme finalement «l’entente avec Éconauto [sic]» (en référence à l’entente survenue à l’automne 2012 avec l’organisme Communauto) et des rabais d’autobus pour les employés de la Ville. Au sujet du transport en commun dans les arrondissements éloignés, il est catégorique : «À moins de payer l’impensable, c’est difficile d’avoir un système efficace à St-Élie et à Rock Forest.»
Hubert Richard croit pour sa part que l’important, en regard du plan de mobilité durable, «c’est d’en parler.» Il propose d’aller plus loin que le plan et de rendre gratuit pour tous le transport en commun. Il souhaite aussi encourager le covoiturage. Pour Denis Pellerin, le plan de mobilité durable, c’est essentiellement «un show de boucane». Il ne voit pas d’améliorations concrètes liées à ce plan. Selon lui, les citoyens de St-Élie, de Rock Forest sont toujours mal desservis par le réseau de la Société de Transport de Sherbrooke. Quant aux transports actifs, «il n’y a rien qui se fait, dit-il. Comme c’est là, nos pistes cyclables, ça l’air des Perséides, des petits bouts éparpillés.»
M. Patterson n’était quant à lui pas au courant de l’existence du plan, mais affirme néanmoins qu’«un plan, c’est mieux que pas de plan.»
Le prolongement du boulevard Portland
Toujours sur la mobilité durable, nous avons demandé aux candidats leur opinion sur le projet de prolongement du boulevard Portland (le boulevard René-Lévesque) jusqu’à Rock Forest, au coût de quelque 50 millions. «N’est-ce pas contradictoire de promouvoir les transports actifs d’un côté et d’investir dans des routes pour décongestionner, en sachant très bien – plusieurs études le démontrent – que la construction de routes appelle en quelque sorte les automobilistes et n’a pour effet que de remettre le problème de congestion à plus tard ?», avons-nous demandé à M. Sévigny. «On peut faire les deux», nous répond-il. Le maire souligne que le nouveau tronçon sera muni d’une «piste multifonctionnelle» pour, entre autres, les vélos. «On peut voir des incompatibilités, c’est sûr, admet-il. Dans le meilleur des mondes, ça serait de densifier le territoire.» Or, M. Sévigny considère qu’il est trop tard pour tenter de régler le problème de l’étalement urbain. «On ne peut pas réparer ou revenir en arrière parce que la mode dans les années 1970 et 80, c’était de construire des bungalows, des centres d’achats et des mers d’asphalte», explique-t-il. Le maire sortant considère qu’il faut néanmoins s’assurer de rectifier le tir pour les nouveaux développements.
Hubert Richard est aussi en faveur de la construction du boulevard René-Lévesque, même s’il s’avance prudemment en disant que c’est «une chose qu’il faudrait réévaluer. C’est beaucoup d’argent pour désenclaver une zone d’habitations unifamiliales. Il y a des environnementalistes qui souhaiteraient que l’argent soit mis ailleurs. Mais on les a construits ces quartiers-là, et ces gens-là vivent des problèmes réels au niveau de l’engorgement de la circulation.» Même s’il n’est pas «complètement fermé» au projet, M. Richard, s’il devient maire, s’assurerait néanmoins que la route n’affecte pas des zones écologiques fragiles.
Monsieur Pellerin est quant à lui nettement en défaveur du projet et considère que ça va coûter «les yeux de la tête», ce qui n’est pas sans déplaire, selon lui, aux compagnies d’ingénieries qui travaillent sur le projet. Il soutient que le projet a été pris «dans le mauvais sens». Plutôt que de faire une voie de contournement, il privilégie d’exécuter des travaux directement sur le boulevard Industriel pour en faire une route à quatre voies. Il critique par ailleurs le processus de consultation pour le projet et juge que c’était «arrangé d’avance», que l’administration municipale n’a pas tenu compte de l’opinion des citoyens. Il se méfie du fait que le tracé traverse des terrains qui appartiennent à un «conseiller municipal et à sa famille». Il y des «influences occultes» à la Ville, soutient-il.
De son côté, Roy Patterson avoue n’avoir «aucune connaissance de ça.»
Les commerces de proximité
Le lecteur se souviendra qu’Entrée Libre avait, dans un éditorial récent, sévèrement critiqué certains élus et journalistes qui, devant la fermeture du Provigo de la rue Belvédère, affirmaient que la Ville ne pouvait pas faire grand-chose devant la désertification alimentaire résultant des fermetures en série d’épiceries dans l’arrondissement. Même s’il trouve la situation «préoccupante», Sévigny se range néanmoins du côté de ceux qui clament l’impuissance de la Ville : «On touche à la limite des compétences municipales. La pensée magique qui veut que le conseil municipal intervienne dans tout a des limites, pis ça s’appelle les compétences municipales», dit-il. Il est impensable, selon lui, que l’administration paye «pour qu’un commerce soit maintenu dans un quartier». Devant la possibilité que la Ville cautionne l’achat d’un immeuble par une coopérative d’alimentation, Sévigny est prudent : «On le fait déjà, dit-il. Faudrait voir. S’il y a une initiative citoyenne, ce n’est pas automatique. On a cautionné Estrie-Aide et une dizaine d’autres organismes. Ça fait depuis que je suis maire qu’on fait ça. On n’est pas fermés, mais encore faut-il que ça cadre avec les juridictions.»
Pour Hubert Richard, le conseil municipal doit rester sensible à ces questions : «Quelque part, on est le palier de gouvernement qui est le plus proche d’eux autres [les citoyens]. Il faut l’assumer ! S’il y a des citoyens qui vivent ce problème, il va falloir se creuser la tête pour savoir comment on pourrait ramener une épicerie dans ce secteur-là, en agissant entre autres sur le zonage ou en faisant appel à la Société de développement économique.» Au sujet des commerces de proximité, M. Richard se dit aussi très préoccupé par la fermeture des dépanneurs dans le même secteur.
Pour Denis Pellerin, le problème des deux épiceries qui ferment est le résultat plus ou moins direct du développement du plateau St-Joseph. Non seulement le Canadian Tire s’est-il installé sur le plateau en créant «un trou, une cicatrice pendant 5 ans», mais «maintenant, le Walmart se transforme en épicerie, et c’est sûr que toutes les épiceries ont les fesses serrées à Sherbrooke», affirme-t-il. «Qu’est-ce que Provigo fait en réaction ? Il s’installe à la Cité du Parc !»
Sur ce sujet, M. Patterson est plus loquace et encourage les citoyens du quartier à former une coopérative d’alimentation, «comme cela se fait souvent dans le reste du pays. Si mille personnes s’engageaient à dépenser, par exemple, une centaine de dollars par mois, ça pourrait marcher.»
La réduction du nombre d’élus
La réduction du nombre d’élus a également été le sujet d’un éditorial d’Entrée Libre dans sa dernière parution. «J’ai lu [ça] dans votre éditorial, nous lance d’ailleurs le maire sans grand enthousiasme. Vous dites que c’est des économies de bout de chandelle. Mais ce que vous n’avez pas écrit dans votre éditorial, c’est que, quand on gère une ville de 1800 employés à qui on demande des efforts de réduction […], il faut être capable de nous administrer la même mesure.» Notons que notre entrevue s’est déroulée avant l’annonce, par le Renouveau sherbrookois – Équipe Bernard Sévigny, qu’il allait aller de l’avant avec une réforme encore plus radicale que la première, proposée dans le «rapport Paquin» en 2012. Ce dernier rapport suggérait alors de faire passer le nombre de conseillers de 19 à 15. Sévigny propose maintenant, s’il obtient un nombre suffisant de conseillers, de réduire ce nombre à 12, et même de fusionner les arrondissements de Bromptonville et de Fleurimont, de même que les arrondissements de Jacques-Cartier et du Mont-Bellevue. L’économie potentielle de ces mesures est passée, seulement pour la réforme de la gouvernance, de 250 000 $ à quelque 650 000 $.
Selon Bernard Sévigny, on aurait tort de qualifier cette réforme de «radicale». Il souligne l’implantation d’un «service 311» qui vient «compenser» et qui permet, selon lui, de se rapprocher du citoyen. De plus, il émet des réserves quant à la pertinence de certains conseils d’arrondissement : «Je ne sais pas si vous vous promenez dans les conseils d’arrondissement ; la moyenne des citoyens qui s’y présentent, des fois, ils sont 2, des fois 5, des fois 7… C’est ça, la démocratie d’arrondissement !»
Hubert Richard ne souhaitait pas commenter le dossier. C’est le candidat du parti Comme une eau Terre dans Bromptonville qui a sensibilisé les membres du parti à ce projet, selon M. Richard. «Ils voient ça comme un vent de centralisation. Si j’ai à voter, je vais voter contre la réforme Paquin», dit-il tout en précisant qu’il ne veut pas en faire un enjeu dans la présente campagne.
Denis Pellerin est «carrément contre» la réforme envisagée : «c’est d’enlever de la représentativité aux élus», dit-il. Il s’inquiète beaucoup de la baisse envisagée du nombre d’élus sur certains comités. Selon lui, M. Sévigny ne souhaite pas réformer le conseil pour des raisons budgétaires ou pour bien paraître auprès des employés de la Ville : «Il s’en fout pas mal des cols bleus, ça fait deux ans que les cols bleus attendent un appel du maire pour commencer à regarder le déficit actuariel de la caisse de retraite.» Pour M. Pellerin, 250 000 $, c’est une «goutte dans l’océan.» Selon lui, «le maire fait ça pour avoir le contrôle… C’est ben plus l’fun quand t’as pas d’opposition», lance-t-il.
Monsieur Patterson est aussi nettement contre le projet : «Je suis toujours contre un projet qui propose de concentrer le pouvoir dans les mains d’un nombre plus petit de personnes. Moi, j’irais plutôt dans l’autre sens, en incluant davantage les citoyens dans les processus de décision.»