LES 12 TRAVAUX D’IMELDA

Date : 29 octobre 2022
| Chroniqueur.es : Souley Keïta
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Le film a débuté ses 12 travaux ce vendredi 28 octobre à La Maison du Cinéma.

Une critique sans (trop) divulgâcher.

Du court au long.

Ma première rencontre avec Imelda était courte et m’avait placé dans une situation ambiguë, je ne savais pas sur quel pied danser, en me posant des questions sur ce personnage qui ressemble à tant d’aînés, abîmés par la vie. Je ne savais pas si je devais rire ou pleurer en plongeant dans les tumultueuses relations de cette grand-mère avec son ennemie Simone (Ginette Reno), avec son notaire de fils (Robert Lepage).  Au fil du temps, Imelda rentre dans votre vie, car les courts m’ont permis de m’habituer à ce personnage atypique, corrosif et qui n’a pas sa langue dans sa poche. Puis on se souvient qu’il nous manque une facette que nous dévoile le réalisateur, celle de ses imitations d’Imelda lorsqu’il était jeune et que finalement cette grand-mère attachante avait de l’autodérision en voyant son petit-fils l’imiter. On traverse également les thématiques qui préoccupent souvent cette grand-mère entre solitudes, l’amour partagé avec un être disparu, la religion, la vieillesse, le non-choix de sa vie. 

Une affaire de réconciliation.

Qu’est-ce qui fait force dans ce film? Sans doute, se donner le droit de réconcilier les morts à travers les vivants, avec un soupçon de nostalgie. C’est un cheminement que le réalisateur, le scénariste et acteur opère à travers son long-métrage, celui de réconcilier sa grand-mère. Cette Imelda interprétée par Martin Villeneuve, qui dont réapprendre à apaiser sa colère contre ses proches, contre la vie. Dans ce registre, où il ne faut aucunement juger notre personnage sur notre premier contact, en tant que spectateur, à l’image du film Tabu de Miguel Gomes, en tant que spectateur, on se doit de réapprendre que le background, les griefs d’une vie ont une influence sur le personnage, encore plus lorsqu’on a plus de 90 ans sur cette terre. Forcément, on apprend à détester Imelda, mais il faut surtout réapprendre à nous aimer en tant qu’aînés.

Entrée Libre a pu s’entretenir avec le scénariste, réalisateur et acteur Martin Villeneuve, nous dévoilant un peu plus le récit de son étonnant et attachant personnage :

Souley Keïta : Premières images, première question. On ouvre la porte, celle de la nostalgie. La nostalgie comme une porte de lumière, est-ce qu’en y accédant on apprend à redécouvrir ce personnage, dont on avait une image et qui se modifie en plongeant dans le passé ?

Martin Villeneuve : C’est comme une capsule temporelle, car on retourne dans le temps et c’est pour cela que je voulais ouvrir le film avec l’image du notaire qui est rendu lui-même un vieillard qui ouvre la boîte de souvenir de sa mère. Cela plonge le spectateur dans le passé et j’ai également fait ce voyage. Je suis retourné dans le passé de ma grand-mère, une femme que j’ai connue vieille, acariâtre et telle qu’on la décrit dans le film. Pourtant cette femme est différente, car elle a été jeune, elle a eu des rêves dans ce passé des années 20 à 30, donc j’ai voulu retourner le plus loin possible. Grâce aux traces écrites, grâce aux lettres, aux photos et aux témoignages des gens qui ont côtoyé ma grand-mère, j’ai pu reconstituer sa vie dans un mouvement général, c’est-à-dire les gros évènements de sa vie et ce qui est déterminant. C’est rare dans la vie que l’on se donne le temps de fouiller dans la vie d’un de nos ancêtres et c’est extraordinaire ce que l’on découvre sur la personne, mais aussi sur la famille. Cela souligne à quel point les choix de nos ancêtres sont déterminants dans notre présent, mais également pour notre avenir. J’ai l’impression que c’est presque un passage obligé, c’est rendu presque thérapeutique, car cela m’a obligé à travailler avec ma famille et je ne pouvais pas concevoir un film sans leur appui. Ils ont tous été impliqués, car j’utilise les vrais noms, les vraies situations, les vraies anecdotes. Je suis heureux puisqu’ils ont tous embrassé l’idée. Les 3 courts-métrages avaient montré le ton et ils voyaient que ces films n’avaient pas un but de les ridiculiser, que ce sont des films qui sont faits avec plus d’humour et plein d’amour. Ce n’était pas pour rire de ma grand-mère, mais surtout pour lui rendre hommage. Cela nous a rassemblés et nous a également donné la possibilité de découvrir notre grand-mère sous un jour nouveau.

Souley Keïta : En parlant de plongeon, j’aimerais en savoir un peu plus sur la genèse et ce qui t’a motivé dans ce récit ? 

Martin Villeneuve : Pour bien expliquer la genèse, il faut reculer dans le temps jusqu’à ma tendre enfance. Vers mes 7 ans où j’ai commencé à faire des imitations de plusieurs membres de ma famille et en particulier de ma grand-mère Imelda, chose qui faisait beaucoup rire ma famille durant le party de Noël. Ensuite, il y a eu les imitations pour mes collègues d’études puis ce fut avec mes collègues lorsque je travaillais dans l’agence de publicité où j’ai officié. Elle a été un personnage formidable, plus grand que nature, très théâtral, très expressif, excentrique. J’ai affiné cette imitation au fil du temps en faisant rire les gens, mais je ne m’étais jamais vu faire ce personnage.

Lorsqu’elle est partie, ma grand-mère avait 101 ans, un âge vénérable qui nous a permis de la côtoyer longtemps. J’étais dans un bar, un an après son décès lorsque mon père m’a appelé en me disant que la maison de ma grand-mère allait être vendue. Mes amis, qui sont en train de prendre un verre, avec moi me questionnent sur la maison de ma grand-mère et sur l’univers qu’elle a laissé derrière elle, les objets, les lettres, le livre des morts. Ils me disent que j’ai l’opportunité d’utiliser cela et de constituer un petit théâtre pour faire vivre les souvenirs de ma grand-mère. On a rempli un camion, ils m’ont maquillé, ils m’ont mis une perruque et j’ai porté les habits de ma grand-mère. Comme je jouais seul, je n’avais pas d’autres options que de m’adresser à la caméra. Les pièces de la maison sont devenues des révélateurs pour parler de ma grand-mère avec de vraies anecdotes et la manière dont elle les racontait. Ma famille qui a beaucoup ri de cette vidéo m’a encouragé à le montrer à d’autres personnes pour voir si le rire était communicatif. Danny Lennon qui est un distributeur, un programmateur de courts-métrages à hurler de rire en voyant la vidéo et a envoyé ce film dans tous les festivals. Imelda a su trouver son public si bien qu’il a eu plus de 100000 vues sur le site de La Fabrique Culturelle, ce qui constitue un record à l’époque. Par la suite, il a remporté un prix d’interprétation de l’UDA, le prix du meilleur court-métrage québécois. C’est devenu beaucoup plus gros, car on m’évoqué de faire une suite. Il y a eu l’idée d’un long-métrage que j’ai eu du mal à financer, mais cela m’a permis de vraiment solidifier mon histoire, les autres personnages qui gravitent autour d’Imelda, la quête et surtout, comment raconter un film avec ce personnage sur la durée. J’ai vraiment travaillé mon texte sur 6 ans, avec 9 versions de mon scénario. Avec les difficultés de financement, plutôt que de le laisser tomber, je me suis concentré sur des courts-métrages qui ont eu l’effet de boule de neige pour devenir un long-métrage.

Souley Keïta : Il n’y a pas de hasard à se retrouver de rédiger mes questions dans L’attrape-cœurs de J.D Salinger. Malgré les nombreux gros défauts, qu’est-ce qu’on retient d’autres de cette grand-mère Imelda ? 

Martin Villeneuve : Tout le monde connaît une Imelda. En y travaillant depuis longtemps, je pense que c’est cela que le projet m’a révélé, car le feedback que je recevais de mes collaborateurs sur le plateau, des gens qui recevaient les courts-métrages, c’est de voir que Imelda amène souvent la comparaison avec un membre de leur famille, une vieille dame qu’ils ont connue ou même à un grand-père, une vieille tante. Il y a toujours une Imelda dans la famille. C’est communicatif et c’est assez universel. L’autre aspect que je trouve très intéressant, c’est tout le paradoxe d’Imelda, une vieille dame acariâtre, en colère, qui est révoltée, blessée, mais en même temps elle avait un grand cœur, elle était aimante, généreuse. C’est toutes les zones grises, ces changements entre les deux visages qui nous intéressent. À 95 ans, elle va de l’avant, même s’il lui reste peu de temps à vivre, elle sait qu’elle veut vivre, qu’elle a des choses à régler et c’est ce que raconte le film. C’est un personnage jouissif et les gens qui entourent ce personnage ont ressenti cette force vive, cette énergie contagieuse et c’est peut-être ce qui explique que j’ai pu obtenir des collaborations miraculeuses durant ce parcours. En terminant, je dirai que le troisième aspect qui permet de s’attacher à Imelda, c’est le fait qu’elle représente une génération. Je fais un film sur ma grand-mère, mais en même temps, c’est pour honorer la mémoire de toutes les grand-mères. Ces femmes qui ont bâti le Québec. Un Québec qui a connu des transformations majeures. Entre 1900 et 2000, c’est le jour et la nuit. Ces femmes ont préparé le terrain au féminisme dans ce monde d’avant où elles étaient ballotées entre religion et liberté de pensée. On ne l’admet pas souvent et pour cela, je trouve qu’il est important de leur donner une voix.

Souley Keïta : À travers ce personnage, il y a les nombreuses contradictions, de cette foi inébranlable à ces mots sur le suicide, de cette haine à l’encontre de Simone jusqu’à aller la voir chanter, de ces « mange-marde » chez qui on veut une manifestation de l’amour. Est-ce que tu veux la réconcilier avec les maux qui l’ont touché dans sa vie ? 

Martin Villeneuve : C’est tout à fait bien résumé. D’ailleurs, il y a quelque chose un peu dans l’ordre des constellations familiales, c’est-à-dire qu’il y a une forme de thérapie, de guérison où l’on projette sur les autres des conflits familiaux non résolus pour tenter de les régler. Il est certain que lorsqu’on quitte une vie, un parcours de vie assez difficile, notamment à 101 ans. On part avec des choses non résolues. Les 12 travaux d’Imelda, c’est un peu les 12 conflits non résolus dans la vie de ma grand-mère. On essaye d’apporter une conclusion à la quête de cette femme par le véhicule du cinéma. C’est pour cela entre autres que je joue son rôle, parce que c’est le petit fils qui se sert de la grand-mère pour réparer ce qu’elle n’a pas eu le temps de faire, ce qu’elle n’a pas voulu faire. Il a un certain rapprochement avec des personnages que l’on ne doit pas laisser sans conclusion. Cela brasse beaucoup de choses dans ma famille parce qu’on n’a pas toujours l’occasion de créer ces réconciliations ou de faire la paix avec des gens. C’est pour cela qu’il y a nos deux grands-mères qui vont sans doute apprendre l’une de l’autre. Il y a la relation, parfois tumultueuse, avec son fils. Il y a une volonté de réparer dans le présent les blessures du passé pour préparer au mieux l’avenir.

Souley Keïta : Est-ce que les 12 travaux d’Imelda sont avant tout un regard sur le « apprendre à laisser partir » ? 

Martin Villeneuve : Tu m’enlèves les mots de la bouche, car je pense que l’acteur Marc-François Blondin en a parlé justement hier en entrevue. Pour lui, sa lecture du film résonne dans cette idée de faire la paix avec sa propre vie. 100 ans lorsqu’on est heureux, cela passe très vite, mais pour quelqu’un en colère, cela devient très long. On sent notamment dans les dix dernières années de sa vie qu’il ne se passe plus grand-chose, car ces amis sont morts, le jus de la vie n’est plus tellement là, car on se voit retirer beaucoup de choses et je trouvais intéressant de plonger dans cette période que va vivre Imelda. C’est à ce moment-ci qu’il y a une courbe dans le personnage, ce moment où l’on sort de la simple vignette ou de l’hommage, car c’est comment se personnage passe au travers des 12 dernières années de sa vie.

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