[Dernier épisode : évacuation à Longlac, fête au Ran-Dan, Michaud]
Tandis que nous foncions sur la Ogoki road, Michaud me raconta la fois où lui et sa bande avaient subtilisé une patte d’orignal dans la boîte d’un pick-up, à Amos. Ils l’avaient dépecée et traînée sur leurs épaules jusqu’à leur repaire, au sous-sol de ses parents. Pendant une semaine au moins, ils avaient fait bonne chère de cette pièce de choix. Non longtemps après, des skinheads mal inspirés, sortis de la couronne nord de Montréal, vinrent tenter l’aventure à Amos. Ce type d’excursion visait expressément la provocation et la bataille, et ils ne manquaient pas de s’armer de barres de fer et de poings américains. Mais ils n’avaient certainement pas anticipé l’irruption sur le champ de bataille d’une bande de punks armés de fémur et de tibias d’orignal. La terreur engendrée par ces armes non conventionnelles, provoquant choc, stupeur et tremblements, eut raison des néo-nazis, qui se firent assommer sans merci. Ce n’est là qu’une des nombreuses histoires truculentes que racontait Michaud.
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Le contrat avançait et je voyais, non sans envie, des couples se former. Ça commençait par une journée de plantation deux à deux, puis une complicité s’établissait lentement (passe-moi la citronnelle dans le cou), et enfin, la tente faisait le reste. J’avais, quant à moi, raté ma chance d’amadouer Lindsay, un jour que nous avions été forcés de retourner à Cariboo, avant l’incendie, où on nous avait placés en équipe. De toute la journée, je n’avais rien trouvé d’autre à faire que de planter tous les racoins difficiles, pour lui éviter d’avoir à se frotter aux aubépines. J’aurais pu lui offrir un bouquet de ces touchantes mais banales roses sauvages, ou même une espèce d’orchidée qu’on nommait « sabot de la vierge », qui, tout exotique fut-elle, ne rivalisait malheureusement pas de grâce et d’élégance avec ses sœurs. Son bulbe avait même quelque chose de grotesque, analogue à un testicule endolori. Pour toute récompense, je reçus cette petite question à la fin du jour : « Fini? », prononcé avec son charmant accent. Après que j’eus acquiescé, nous marchâmes sans rien dire pour rejoindre Tina, qui nous escorta jusqu’à la sortie du block.
Désormais, je voyais ce satrape de Not-so-handsome-Dave profiter de ses stupides boucles d’or et y ajouter des yeux doux. Le cuistre! J’assistais impuissant à tous ces marivaudages immondes, équivoques, qui sourdaient de la bêtise pour s’exonder d’un marais d’impertinences. Comble de malheur, Lindsay semblait s’y plaire. « Lindsay » signifiait « étang » en gaélique, c’était là la seule explication convenable.
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« Work hard, play hard ». Telle pourrait être la devise du treeplanting. À Dead Wolf, cette semaine-là, j’atteignis pour la première fois le score respectable de cinq mille arbres plantés en une seule journée. Si vous avez suivi le récit jusqu’ici, vous avez sans doute compris que les rippers étaient la raison d’être du planteur, sa providentielle soupape. Eh bien, le ripper suivant allait jouer ce rôle pour le highballer que j’étais devenu. Conjugué au Noël des planteurs, il fut épique. D’abord, nous étions tous habillés « chic »; ensuite, une exposition d’œuvres toutes plus saugrenues les unes des autres (la plupart des dessins ou des sculptures ornées de bandes fluorescentes) avait été installée dans la mess tent. Enfin, Patof incarnait le « rude Santa », flanqué d’un 40 oz de Jack Daniels.
Je n’avais que de vagues souvenirs de cette soirée endiablée. À un moment, un gars avait couru à poil en frappant le sac d’un vinier extrait de sa boîte « pour l’attendrir et en extraire le jus ». Puis, un autre s’était endormi trop près du feu, et ses souliers avaient fondu. Puis, Rose et Emma, une autre amie, se mirent à se lancer des chaises dans la mess tent.
Seul l’automatisme d’une routine bien ancrée avait pu expliquer comment je parvins à me rendre à ma tente, à retirer mes bottes et enlever mes lentilles, puis me glisser dans mon sac de couchage, le tout dans l’obscurité la plus complète. Or j’allais m’endormir lorsque j’entendis quelqu’un s’approcher, se faufiler dans le vestibule et se démener avec la fermeture éclair pour tenter de s’introduire dans ma modeste demeure. Je me redressai légèrement pour tâcher d’identifier l’intrus, mais je ne perçus qu’une voix féminine chuchotant : « I’m cold, I’m cold! », et une ombre venir se blottir contre moi. Ravi d’avoir de la compagnie, je la laissai faire, tout en essayant de l’abriter de mon mieux. Lovée contre moi, je pouvais sentir la chaleur de son corps, et je faillis m’assoupir de nouveau, mais après quelque temps ainsi, la température de la tente était devenue confortable, et même plus que confortable…
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Plus tard, une cigarette vint à s’imposer. Mais l’ombre s’adressa à moi de la sorte : « Dave, do you have a light »? Interloqué, je n’eus d’autre choix que de lui fournir un briquet, mais sans toutefois relever l’incongruité du nom. Lorsqu’elle alluma sa cigarette, j’eus le temps d’apercevoir des santiags dans un coin de la tente. Elle fuma et s’en fut.
J’avais, bien sûr, formulé quelques hypothèses quant à l’identité de cette apparition, mais ce n’est que le lendemain que je pus les confirmer, lorsque je reconnus lesdites bottes chaussant les pieds de Lindsay, toujours aussi ravissante, mais fort mal en point.
(À suivre)