Un beau samedi matin de printemps, à Sherbrooke, dans une bâtisse non loin de la rivière Saint-François, toute l’effervescence d’un encan se faisait entendre. À l’intérieur, tout un tas d’antiquités de diverses époques. C’était le vieux Réjean Bellefeuille qui, pour son départ à la retraite, avait mandaté un encanteur pour vendre une partie de son ancien commerce d’antiquaire et de prêteur sur gages. Il y en avait pour toutes les bourses et tous les gouts, et la quasi-totalité des biens furent vendus et tout un chacun repartit satisfait.
Comme Solomon Roberge, ce jeune étudiant en histoire à l’Université de Sherbrooke qui avait acheté un petit ensemble de correspondances et autres vieux documents, le tout ficelé, pour une cinquantaine de dollars. Il se disait que cela lui servirait à se pratiquer en recherche historique le cas échéant.
De retour dans sa modeste chambre d’étudiant, il s’installa à son bureau, enfila ses gants de coton blanc, coupa la ficelle qui scellait le tout et déballa précautionneusement le paquet. Lorsqu’on frappa à sa porte. C’était Carole, une des colocataires et amie de Solomon.
— Salut?! Maïtena vient de me dire que le Refuge des Sapeurs préparait une soirée égyptienne avec des bières spécialement brassées comme le sarcophage, la momie, la vallée des rois…
Tout en continuant à citer la carte éphémère des breuvages, elle prit sans aucune précaution un ensemble de lettres que Solomon venait de détacher.
— C’est quoi ces vieilles lettres?? Une Amoureuse « old school » jusqu’au papier ou des vieilleries que tu as encore dénichées dans une vieille grange perdue au fond d’un bois? dit-elle en riant.
— Fais attention?! C’est fragile?! De ce que j’ai déjà vu, elles datent entre la fin du 18e et le début du 19e. Je viens de les acheter dans un encan. Repose-les s’il te plait. C’est le fun pour le refuge, je vous rejoins tantôt pour aller diner.
— OK, OK?!
Carole referma la porte et rejoignit Maïtena dans le salon.
Solomon continua à dépouiller méticuleusement son acquisition. Il découvrit des correspondances manuscrites en anglais et en vieux français, des pages arrachées difficilement lisibles et comme une sorte de mini herbier. Il feuilleta rapidement le tout sans en faire d’analyse, lut en diagonale la plus lisible puis rangea le tout dans la filière de son bureau avant de rejoindre les filles pour diner.
Ils décidèrent de prendre une marche pour se rendre au restaurant qui était à environ une vingtaine de minutes à pied. Sur le chemin, ils passèrent devant la fresque murale de la rue Bowen. Comme Solomon n’était pas natif de la région, Maïtena lui demanda s’il connaissait la signification de cette murale. Bien que montréalais d’origine, il lui raconta les légendes du Mena’sen.
— Tu es donc un vrai passionné d’histoire et pas juste un de ces égarés universitaires en quête d’un diplôme à vendre, dit-elle d’un ton narquois.
Puis elle lança ce discours théâtral :
— Regarde estranger?! Sache que mes ancêtres ont vécu et combattu ici à Ktinékétolékoua avant que cela prenne le nom de ces loyalistes de Hyatt et de Sherbrooke. Mais fini le temps de la haine, embrassons la vie et l’amour et prions pour notre bourse et que du Mena’sen surgisse le trésor de Bossuet.
À ce moment Solomon eut un flash. Il avait déjà vu ce nom de Bossuet. Peut-être sur une des lettres quelques minutes auparavant. Mais dans le doute, il ne partagea pas sa pensée, le temps de vérifier…
L’allocution de Maïtena terminée, les jeunes gens reprirent la route vers le restaurant tout en continuant leur conversation.
Pendant ce temps, au local d’encan, une femme entra dans le bureau du gérant et lui demanda si les lots 64 et 139 de la vente du matin avaient été vendus. Celui-ci lui demanda pourquoi.
— Je vous en offre 10 000 $ chaque?! répondit-elle.
— Malheureusement, ils ont été vendus ma « p’tite » madame?! dit-il en regardant son listing quelque peu surpris.
— Pourrais-je avoir le nom des acheteurs?? demanda-t-elle avec un léger accent roulant les « r ».
— Si vous êtes de la Sûreté, je peux. Autrement, c’est non.
À suivre