À l’automne 1995, l’hebdo régional le Nord-Est plus interrompt sa distribution dans les villages de l’est de la Minganie. Pour pallier à l’absence de média papier, une équipe du dispensaire d’Aguanish entreprend la publication du portageur express dans les communautés de Baie-Johan-Beetz, Aguanish et Natashquan. Très vite, la communauté innue de nutashkuan manifeste son intérêt; le tirage du nouvel hebdomadaire s’élève désormais à 500 copies.
Au départ, le montage du journal – fait à la main et dont les articles sont collés puis photocopiés – est entièrement exécuté dans la résidence d’André Lemieux, premier coordonnateur au Journal. Puis, en mai 1997, il s’installe sur l’allée des Galets, à Natashquan, qui mène à la baie. Il loue des locaux à la Corporation de développement touristique de Natashquan. Mais, suite à des imbroglios financiers rencontrés par ce dernier organisme, assaisonnés de cabales politiques municipales, le journal est forcé de migrer temporairement dans le sous-sol du marché, où il vivra pendant un an sa période sombre : « On entendait les gens marcher toute la journée à l’étage, sans compter les machines, qui rendaient l’atmosphère suffocante », témoigne Nicole Lessard.
La maison Saint-Dilon
Mais en 2003, le village regrette le départ d’Odilon Carbonneau, violoneux du village, immortalisé dans la chanson de Vigneault, La danse à Saint-Dilon, que le poète considérait comme « le grand-père que je n’ai pas eu le temps de connaître ». Sa maison est mise en vente. Remuant ciel et terre, le journal réussit à en faire l’acquisition, en partenariat avec le Comité de spectacles « Par Natashquan ».
Depuis, le tirage est venu s’établir à 551 exemplaires. Le Journal, fort d’une équipe d’une vingtaine de bénévoles gravitant autour de la maison Saint-Dilon, est parvenu à rénover l’intérieur du bâtiment, sis à quelque cent mètres du rivage, et tente aujourd’hui de trouver les fonds nécessaires au remplacement du revêtement extérieur, mis à mal par les rudes hivers et les forts vents. Aujourd’hui, la maison Saint-Dilon est en voie de devenir une véritable maison de la culture, elle qui accueille un hebdo, un comité de spectacles, un centre d’accès communautaire à Internet (la haute vitesse n’est apparue en Minganie qu’en février de cette année), en plus d’un espace d’exposition pour les oeuvres d’auteurs de la région. Elle projette également la création d’un studio d’enregistrement à l’étage, et compte élargir son comptoir d’exposition.
Le Portageur est sans contredit le coeur de la maison Saint-Dilon. Son conseil d’administration se veut représentatif des communautés qu’il dessert, et les réunions se font par vidéoconférence, étant donné les grandes distances qui séparent ces communautés. Grâce à une comptabilité rigoureuse, le Portageur peut aujourd’hui employer un directeur-journaliste à temps plein, une secrétaire comptable à temps partiel, en plus des stagiaires qui s’ajoutent ponctuellement à l’équipe.
Aujourd’hui la Minganie, demain le monde
Le Portageur est, sauf erreur, le seul hebdomadaire communautaire francophone au Québec. Depuis l’arrivée d’Internet et le retour du Nord-Est, maintenant propriété de Québecor, et du Nord-Côtier, un autre hebdomadaire régional, sa vocation est appelée à se redéfinir. En préservant ce qui fait sa force, c’est-à-dire son implantation et sa proximité d’un milieu fort éloigné, l’hebdo devra composer avec les défis qu’apporteront les grands projets de développement industriel envisagés pour le nord québécois. Fort de l’appui des personnes bénévoles et de sa communauté, mais aussi, nous l’espérons, d’un réseau de médias communautaires plus militants, parions qu’il saura défendre son parti-pris pour l’information et la promotion de la vie sociale et culturelle des communautés qu’il rejoint, et se faire le défenseur d’une économie sociale et solidaire, sans laquelle ces hameaux jusqu’à tout récemment enclavés perdraient une grande part de leur attrait.