Comme beaucoup d’autres personnes avant moi, entamer l’âge adulte entraîne son lot de désenchantements, qui vient souvent de pair avec un certain niveau de lucidité. En fait, je séparerais ce processus en deux étapes distinctes :
D’abord, comprendre que les cadeaux ne viennent pas du Père-Noël, mais des parents. Ensuite, comprendre que les cadeaux ne viennent pas des parents, mais d’une structure bien plus grande et complexe qu’eux : celle de la propagande publicitaire, un coup de génie capitaliste qui vend une histoire de bonheur et d’accomplissement personnel par la consommation matérielle non essentielle.
L’hormone du plaisir, la dopamine, s’empare de tous nos neurotransmetteurs et ce qu’on appelle le circuit de la récompense nous rend addict à la consommation matérielle tout comme on peut l’être à la drogue ou à la sexualité. En fait, le circuit de récompense est un réseau de neurones et de structures cérébrales qui veille à la régulation du plaisir, de la motivation et de la prise de décisions. Lorsqu’on analyse ce circuit, on se rend compte que l’humain prend l’ensemble de ces décisions sur la simple base de recherche de récompenses. Suite à un comportement gratifiant, la dopamine sécrétée dans notre corps nous donne un sentiment de bien-être qui renforcera le comportement initial. La récompense peut être primitive si elle fait intervenir des réactions corporelles simples et universelles à tout le règne animal comme la sexualité ou la consommation de substances. Cependant, elle peut également être plus complexe si elle renvoie à des structures de pensées plus abstraites qui nous permettent de nous projeter dans le temps et dans des situations hypothétiques nécessitant des capacités métacognitives. Le circuit de la récompense complexe est développé de manière significativement plus marquée chez les humains. Tout ça pour dire que, la consommation excessive d’objets non essentiels durant le temps des fêtes fait intervenir une récompense complexe qui nécessite de s’imaginer dans une situation hypothétique (celle où l’on possède plus d’objets) et les répercussions sociales que celle-ci implique (glorification sociale, amour d’autrui, atteinte du bonheur).
En fait, notre motivation à acheter des cadeaux se base sur un récit social qui tire sa justification d’une valeur centrale : le Bonheur. Celle-ci est sollicitée pour soutenir des prémisses comme : il faut consommer pour être heureux et le bonheur est en corrélation directe avec la possession matérielle. En effet, on nous vend des voitures, non plus pour se déplacer, mais pour se sentir libre, et des parfums, non plus pour sentir bon, mais pour sentir comme quelqu’un que l’on associe à la réussite, Billie Eilish ou Taylor Swift. Bref, nous ne consommons plus par besoin, mais pour atteindre ce bonheur de plus en plus mystique.
Si on va plus loin, le capitalisme en soi, si on le considère comme une entité distincte, existe grâce aux récits de « bonheur » qui encouragent la consommation. Mais, qui est le capitalisme ? Ce sont les grosses compagnies, et pas juste celles qui proposent des produits directement à la population ! Bien sûr, les grandes pétrolières sont activement impliquées dans la production d’objets divers ou d’énergie pour permettre leur fonctionnement. Ainsi, ces entreprises ont tout à gagner à perpétuer ces récits puisqu’elles en tirent énormément de profits.
Cette perpétuation du narratif est notamment effectuée par la publicité, via plusieurs médias. En effet, les publicités lors des émissions télévisées n’en sont qu’un exemple parmi d’autres qui utilisent ce qu’on appelle de la publicité profonde. Il s’agit, au-delà de mettre le produit en valeur, de l’associer à des valeurs et à des sentiments personnels. Comme mentionné plus tôt, il peut s’agir de l’atteinte du bonheur, de l’amour, mais également de la peur de manquer, de passer à côté d’une tendance ou même, de l’isolement social. Lors du temps des fêtes, ce genre de publicité est d’autant plus présent puisque ne pas connaître ce qui est mis de l’avant : souper en famille, abondance et cadeaux matériels peut s’accompagner d’un sentiment d’échec en lien avec le fait d’être passé à côté de la réussite ou du bonheur.
Finalement, la consommation festive est une norme sociale. Effectivement, elle provient d’une tradition qui se perpétue depuis déjà plusieurs décennies et qui en est venue à être universellement acceptée dans la culture occidentale. En effet, en Occident, ne pas acheter de cadeaux de Noël à sa famille est socialement dévalorisé et s’accompagne d’un sentiment de culpabilité. On peut même l’associer à de la négligence ou à un manque d’amour que la publicité ne se gênera pas à pointer du doigt, puisqu’il s’agit là d’une opportunité de vente potentielle.
En ce début décembre, je vous encourage donc à remettre en question vos habitudes de consommation du temps des fêtes et à vous rappeler que la publicité est exempte de toute bienveillance à l’endroit du public. Celle-ci ne souhaite pas votre bonheur, votre accomplissement personnel, briser votre isolement social ou nourrir toutes les bouches le 25 décembre venu, elle ne souhaite que le profit et sa croissance économique. Bref, comprenez également que le Père-Noël fait son profit quelque part, son image même étant issue d’une publicité de Coca-Cola en 1964.