Comment va-t-on se sortir de tout ça ? Deux ans après le début de la pandémie mondiale la plus importante du siècle, avec une population vaccinée à près de 90 %, nous voilà de retour à la case départ. On revient en mode confinement dur, et ce même avec la vaccination des enfants en cours, une 3e dose à l’horizon, un passeport vaccinal, une dizaine de vaccins certifiés, des tests rapides, etc. Tout l’arsenal est sorti, il ne manque que le couvre-feu qui reviendra dans quelques jours…
Que fait-on maintenant ?
On vaccine encore, une 3e, 4e et 5e dose, on attend que la tempête passe, on remet l’état d’urgence à Montréal. L’état d’urgence à Québec n’a jamais pris fin et continuera d’être là pour des années à venir. Car, oui, la pandémie mondiale va durer encore des années, avec des variants qui se multiplient, et ce maudit nationalisme vaccinal qui nous retarde tous collectivement: si les pays nantis continuent de s’approprier la grande part du gâteau en laissant les pays du Sud dans la merde. On ne fait que se magasiner d’autres variants dans les prochains mois et années à venir.
Pendant ce temps, le capital financier, technologique et pharmaceutique se frotte les mains. Le profit des plus grands entreprises à l’échelle mondiale n’a cessé de s’accroître durant la pandémie, et ce, pendant que tout le monde, les artistes, petits commerces et entrepreneurs continuent de se serrer la ceinture.
Non, on n’y arrivera pas, on ne sortira pas collectivement de cette situation tant qu’on restera coincé dans la logique du nationalisme vaccinal et du capitalisme sanitaire mondialisé qui nous donne « fuck all » (désolé pour l’expression) en termes de résilience alimentaire, économique, sanitaire, écologique, etc. Tout ce que l’État peut faire dans la situation, s’il ne veut pas affronter les contradictions du système, c’est de continuer cette gestion paternaliste du désastre. C’est la catastrophe comme mode de gouvernance.
L’État capitaliste, qui se veut protecteur de sa nation, ne peut que la confiner en essayant de lui faire peur tout en la rassurant. Pour l’instant, çela semble assez bien fonctionner, sans régler le fond du problème bien évidemment.
On nous dit : un dernier effort: ça va vraiment mal actuellement mais ça va bien aller; on est en train de perdre le contrôle, mais on sait ce qu’on fait. On vous demande de faire x tel jour, mais le contraire le lendemain; faites attention avec y, attention les règles vont changer dans la prochaine heure.
Malheureusement, cette crise n’est pas là pour passer, mais pour rester. Elle devient un état permanent et instable de gestion publique à flux tendu, où toute prévisibilité est anéantie au-delà d’un horizon de quelques semaines. On ne vit pas seulement une pandémie, on entre dans un régime politique pandémique, voire, on entre dans une société pandémique, une société post-normale, où toute certitude ou normalité s’écroule. On pouvait comprendre cela durant la première vague de la pandémie, car l’inconnu frappait soudainement. Mais deux ans plus tard, c’est comme si on n’avait rien appris collectivement: on n’a pas plus de ventilation, les hôpitaux sont toujours saturés, il y a moins de mortalités à cause de la vaccination, mais avec les cas qui explosent des opérations commencent déjà à être annulées, et le système de santé est toujours sur le bord de flancher, comme un système sous tension permanente.
Certes, à court terme, il n’y a pas vraiment d’autre solution que le confinement: je suis pour les masques, pour les vaccins, pour les mesures de précaution, contre le couvre-feu, pour la réduction des contacts sociaux (du moins temporairement), pour la solidarité avec les travailleurs et travailleuses de la santé. Mais au-delà de la gestion de mesures sanitaires en yo-yo, on va ben devoir admettre que la situation est bloquée, que ce modèle de gestion de crise est sans issue… et ce tant que les fondements de la société actuelle ne seront pas remis en question.
Tout le monde espérait un retour à la normale, mais cette illusion vient de tomber. Le Normal est mort.
Ce Dieu de la pandémie dont tout le monde avait la foi, secrètement. Cette religion mondiale n’a duré que deux ans, phénomène absolument singulier et fascinant qu’il faudra étudier un peu plus minutieusement durant le prochain confinement. Son symbole est l’arc-en-ciel multicolore, et il semblerait qu’un enfant l’ait dessiné suite à une révélation dans les premiers jours du premier confinement.
Est-ce la fin du monde pour autant ? Non, mais on devra faire le deuil d’un certain monde qui a aujourd’hui toutes les allures d’un monde mort-vivant, ou d’une d’idée-zombie à laquelle tout le monde s’accroche de peur de sombrer dans l’inconnu.
On va devoir s’attaquer aux brevets des pharmaceutiques, et donc contester la religion de la propriété privée. On va devoir exproprier des gros promoteurs immobiliers pour loger tout le monde alors que les prix des loyers et de la bouffe ne cessent d’augmenter. On va devoir relancer la PCU, et pourquoi pas un revenu de base garanti tant qu’à faire, car tout ça être fermé et plein de gens n’auront plus de jobs anyway. On va devoir se trouver des alternatives libres à Facebook et à Zoom, car on va se le dire que les médias sociaux actuels et le télétravail en permanence avec huit rencontres squeezées par jour, c’est de la marde. On va devoir se trouver d’autres moyens de faire pousser sa bouffe et de nourrir tout le monde, car les repas et épiceries livrés à domicile, ça peut certes accommoder certaines personnes temporairement, mais ce n’est pas viable sur le long terme.
On ne va pas habiter dans un monde de colis livrés par des drones avec des casques de réalité virtuelle pour aller à l’école puis des meetings à job sur le Metaverse. Ce n’est pas ça le progrès, sauf peut-être pour les gestionnaires et les profiteurs du capitalisme sanitaire.
On va devoir aussi créer des
contre-pouvoir face à l’État autoritaire, en inventant une « démocratie sanitaire » qui n’existe pas encore, parce que personne n’y a pensé tellement c’est impensable, car tout le monde croit encore qu’un premier ministre et sa mini-cellule de crise peut nous gérer ça, une crise sanitaire qui devient une condition permanente qu’aucun chef d’état dans le monde n’a la moindre idée de comment s’en sortir.
Le capitalisme n’est pas capable de dealer cette situation de façon satisfaisante, et l’horizon nationaliste est trop borné pour endiguer cette crise mondiale qui demande un effort surhumain de solidarité internationale pour peut-être espérer s’en aller quelque part.
Le système est bloqué, point, et on va rester dans cette « cage de fer » de la modernité-tardive-confinée-en-permanence tant qu’on ne mettra pas nos énergies et nos intelligences en commun pour créer des alternatives à tout ce beau « No future » qui s’érige.Je ne suis pas triste ou désespéré, mais fâché, en colère d’avoir moi-même cru intérieurement que ça allait peut-être ben aller. Il n’y aura pas de « relance » dans cette situation, ni de transition, juste un éternel retour du confinement, des écrans, des systèmes de surveillance, de la peur, de la police, des espoirs déçus à répétition. Et ce n’est pas faire preuve de « réalisme » que de voir cela comme le seul monde possible : c’est le seul monde possible dans le système actuel, qui est arrivé dans un cul-de-sac civilisationnel.
Le discours de la collapsologie* a développé le récit de l’Effondrement pour appréhender notre avenir proche. À mon sens, on a plutôt affaire au Grand blocage, prenant la forme d’un confinement cycliquement ponctué de relâchements, de distractions et de polémiques insignifiantes. Ce n’est pas la fin de l’Histoire, mais le Grand stop de l’Histoire; la voiture est en panne, et il n’y a pas d’essence à l’horizon. Il va falloir débarquer du char, marcher et se demander sérieusement où on s’en va avec tout ça.
Je termine ici de partager mes réflexions, angoisses et mini instants de lucidité en vous partageant une citation du philosophe Fichte sur laquelle je viens de tomber, et qui résonne drôlement en moi face à toute cette situation absurde.
« J’ai peine à croire que la situation actuelle de l’humanité restera toujours semblable à ce qu’elle est pour l’instant, peine à croire que cette situation constitue son entière et ultime destination. Car alors tout ne serait que rêve et illusion, et il ne vaudrait pas la peine ni d’avoir vécu, ni d’avoir participé à ce jeu qui repart sans cesse à zéro, qui ne signifie rien ni n’aboutit à rien. Ce n’est que dans la mesure où je peux considérer cet état de choses comme un moyen d’accéder à une situation meilleure, comme point de transition vers un monde extérieur et plus parfait, qu’il acquiert de la valeur à mes yeux; ce n’est pas en raison de ce qu’il représente en soi, mais pour l’amour du monde meilleur qu’il prépare, que je parviens à le supporter. » -Fichte, La Destination de l’Homme
* Approche pluridisciplinaire qui s’intéresse à l’effondrement possible de notre civilisation