J’avais rencontré Jonathan en allant voir un spectacle de musique. Il m’avait remarquée parce que je dansais du début à la fin. La musique, ça me sort complètement de ma tête. Et Jonathan était pareil. On se renvoyait des sourires; on se rapprochait. Ça m’impressionnait parce qu’il reconnaissait toutes les chansons à la seconde près et savait les paroles par cœur, comme moi. À la fin du spectacle, il m’a invitée à ce qu’on se revoie.
On s’est ajoutés sur Facebook, puis je l’ai invité au Caffuccino, un soir où j’avais envie d’augmenter considérablement ma glycémie. Et puis, ça lui laissait savoir que je suis une fille gourmande, du même coup. Je veux dire, qui aime profiter de la vie… J’aime la musique, les desserts et je l’aime bien lui aussi. Suffirait de passer une belle soirée ensemble et je pourrais aller plus loin dans la gourmandise, tiens.
Il est un peu hippie, cheveux mi-longs, barbe de quelques jours, jeans confortables et surtout sourire ravageur. Moi, en tout cas, il faudrait me faire vacciner contre ce genre de charme parce que ça me met tout à l’envers. Ebola? H1N1? Non, je vous parle d’un truc plus fort. Plus insidieux. Qui ravage vos neurones, votre jugement tout entier. Ce type de sourire là.
Voyons s’il parle aussi bien qu’il danse. Voyons si sa culture générale accote sa culture musicale. Je pose quelques questions. Ça augure plutôt bien, il me fait rire, il est original dans ses répliques, il est intelligent. Je me verrais vraiment avec ce gars. Je serais fière de le présenter à ma famille à Noël, rien de moins. Même si je sais que ce ne sera probablement pas cette année, je lui demande tout bonnement: «Qu’est-ce que tu fais à Noël?
— Comme à chaque année depuis mes 18 ans, je ne participe pas à cette mascarade-là.»
Ma face se décompose. Il enchaîne: «Tu devrais aller sur youtube et regarder le vidéo des Simpson version Banksy, c’est pas mal la réalité: pollution, non-respect des animaux, jouets créés dans des conditions affreuses. C’est une caricature, mais si peu, de notre société de consommation.
— Non, mais on n’est pas obligés d’embarquer là-dedans. Y a plein d’autres façons de festoyer. On peut se faire des cadeaux équitables, locaux, faire un échange, donner à une fondation, offrir des petites cartes avec des services (des massages, du gardiennage, du temps).
— Ça reste un genre d’obligation sociale. Et tu sais très bien que les gens en général vont s’endetter et enrichir des grosses compagnies, tout ça par sentiment de culpabilité. Ce n’est que pollution par-dessus pollution, en commençant par la pollution auditive. Ne viens pas me faire croire que tu aimes écouter les classiques de Noël d’octobre à janvier dans les magasins…
— Non, mais c’est pas ça l’esprit de Noël, faut pas tout confondre. Pour moi, Noël, c’est l’occasion de reprendre contact avec ma famille qui habite loin. C’est un temps d’arrêt dans nos vies de fou. C’est aussi ressortir de vieilles traditions culinaires comme ces délicieuses bouchées aux pépites de caramel que ma mère fait. Quand j’étais petite, mes parents faisaient toute une mise en scène pour me faire croire au père Noël. Le papier d’imprimante était lié dans ce temps (je deviens vieille) et ils en déroulaient pour faire un tapis jusqu’à la cheminée. Ils prenaient des bottes, les trempaient dans l’eau et faisaient des traces sur le tapis comme si le père Noël était passé. Puis je lui écrivais une lettre sur une machine à écrire, t’imagines!
— Ton histoire est bien belle, mais je ne pense pas que ce soit aussi idyllique dans toutes les familles. Moi, c’est un choix personnel, je n’embarque pas là-dedans, c’est tout.»
Je prétexte que je dois y aller, sans trop donner de raison. En fait, je réalise à l’instant que j’ai besoin d’être avec un gars qui va partager mes traditions, et que ce n’est pas lui. Je veux d’un gars qui va manger la tourtière trop sèche de ma grand-mère et me supporter dans cette épreuve. Un gars qui va se plier aux jeux de société ridicules sans rechigner. Un gars qui va remercier sincèrement ma mère pour la belle paire de bas chauds offerte même s’il est perplexe devant ce choix de cadeau. Je veux qu’il subisse mes neveux et nièces surexcités. Je veux qu’il soit là avec moi pour le meilleur et pour le pire. Paix aux hommes de bonne volonté.