Peu importe leur champ d’activité, de nombreuses organisations et institutions (universités, regroupements religieux, ONG, municipalités, fonds de pension) investissent une part de leur argent disponible sur le marché boursier, dans l’espoir de voir augmenter leurs revenus.
On parle d’investissement responsable quand une institution choisit de ne pas investir dans un secteur en particulier pour ne pas cautionner une pratique à l’encontre de ses valeurs. Ainsi, on peut choisir d’éviter les compagnies de tabac, les fabricants d’armes, etc. Récemment, des étudiants d’Europe et d’Amérique du Nord ont appelé leurs universités à adopter une politique d’investissement responsable en évitant les compagnies œuvrant dans les secteurs des énergies fossiles. Le but de la manœuvre est de prendre position clairement en faveur de l’environnement et des énergies renouvelables et propres.
Le consensus scientifique établi affirme que pour limiter l’impact des changements climatiques, il faut conserver rien de moins que 80 % des énergies fossiles restantes dans le sol. La géopolitique du pétrole a alimenté de nombreuses guerres et conflits, particulièrement au Moyen-Orient au cours des dernières décennies (pensons à la guerre d’Irak de 2003 ou à l’éclatement du Soudan). Plusieurs compagnies pétrolières se rendent coupables de violation de droits humains et d’ingérence dans les gouvernements et de dégradations environnementales importantes. Plutôt que d’investir dans les énergies renouvelables, nos gouvernements choisissent de subventionner l’exploration et l’exploitation des énergies fossiles à hauteur de plusieurs milliards de dollars par an. Sans ces subventions, nombre de projets des énergies fossiles s’effondreraient faute de rentabilité. En somme, peut-être est-il temps de passer à autre chose et de poser un geste concret pour préparer l’après-pétrole.
Les campagnes de désinvestissement ne parviendront pas à elles seules à faire réellement souffrir financièrement les compagnies pétrolières. La démarche consiste plutôt à leur retirer leur licence sociale. Le même procédé a été mis en œuvre contre les compagnies de tabac et contre l’apartheid en Afrique du Sud. À partir du moment où les grandes institutions et les particuliers refusent de cautionner les activités des pétrolières, une véritable discussion sur l’après-pétrole peut débuter.
Le réflexe naturel est de penser qu’en désinvestissant, on perd de l’argent. En réalité, la grande majorité des études pointent vers un (léger) profit résultant du désinvestissement complet ou partiel des énergies fossiles. On peut l’expliquer simplement. Les prix du pétrole ont drastiquement chuté au cours de la dernière année, et leur grande volatilité devrait inciter à la prudence. Les gisements conventionnels moins coûteux sont en grande partie découverts et exploités. Il reste donc les méthodes alternatives — la fracturation hydraulique (gaz de schiste), les plateformes pétrolières en haute mer, les sables bitumineux — dont les coûts d’exploitation élevés rendent l’investissement nettement plus risqué et dont les dommages environnementaux sont encore plus importants.
En Bourse, c’est la croissance d’une entreprise qui rapporte, pas sa taille. On doit alors nécessairement se poser la question : les énergies fossiles sont-elles la ressource de l’avenir? Vous ne serez pas surpris d’apprendre que le secteur des énergies renouvelables est en pleine croissance… C’est plutôt en restant attachés aux énergies fossiles qu’on se met à risque.
Le Fonds des générations norvégien, la fondation Rockefeller, le journal The Guardian, les universités Stanford et Oxford sont des exemples d’institutions qui ont choisi de désinvestir en tout ou en partie leurs placements en énergies fossiles. La valeur totale des portefeuilles engagés pour le moment avoisine les 2 600 milliards de dollars. Nous savons qu’il y aura un après-pétrole, un moment où les investissements ne rapporteront plus rien. Pourquoi devrions-nous rester derrière?
La présence des énergies fossiles dans nos vies ne sera pas éliminée du jour au lendemain. Mais le cocktail énergétique de demain verra nécessairement leur part diminuer. Nous avons tout à gagner à préparer l’après-pétrole plutôt que d’attendre de frapper le mur. Vous pouvez réclamer le désinvestissement de toutes les institutions qui vous entourent. Le « plus tard » d’hier, c’est aujourd’hui.