LA TRAHISON DE LA PROVIDENCE DIVINE

Date : 6 mai 2021
| Chroniqueur.es : Souley Keïta
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Une critique sans trop divulgâcher.

Se pardonner, se sauver pour peut-être faire un pas en avant, le récit d’une jeune métisse de 16 ans aux hémorragies mystérieuses et aux stigmates rappelant le Christ, se retrouve au centre de disputes religieuses, culturelles, financières entre sa famille, la communauté catholique et certains prédicateurs.

Dans un genre peu essayé dans le cinéma canadien, le thriller horrifique de Jeremy Torrie s’associe à merveille au registre social avec un questionnement sur la relation avec les autres, sur l’existence et nos démons.

Même si la version française ne fait pas du tout honneur à la qualité du film, tant visuelle que dans l’élaboration de ses personnages, des personnages hauts en couleur et portés par Elyse Levesque, David Richard La Haye, Ali Skovbye ou encore Tantoo Cardinal.

L’acteur, plusieurs fois récompensées, David Richard La Haye a livré, pour Entrée Libre, sa vision sur le film et son personnage :

Souley Keïta : Le film se construit sur une étincelle qui doit perdurer par peur de voir les personnages plongés dans l’obscurité et rattrapés par leurs démons, pourtant Louis n’a que cela en lui. Est-ce que vous estimez que Louis Séraphin s’est abandonné?

David Richard La Haye : Oui, tout à fait! Louis Séraphin est un personnage à la dérive, je dirais même que c’est une épave cet homme-là, et à plusieurs niveaux. Évidemment, nous apprenons dès le départ que cet homme a des problèmes financiers graves et malheureusement il est prêt à tout pour tirer profit de n’importe quelle situation. Il est à la dérive par rapport à ses origines où il renie son métissage. Cela était très important pour Jeremy Torrie, le réalisateur, d’en faire un métis qui est partagé entre ses croyances autochtones et sa conversion au catholicisme. Ensuite, la troisième difficulté se voit à travers le fait que ce soit un francophone dans un milieu, dans un univers anglophone, car il est entouré de Canadiens anglophones et d’Américains. Avec ces trois volets, Louis Séraphin est quelqu’un qui est en perdition totale. En plus c’est un alcoolique bipolaire et c’est un peu la métaphore que Jeremy voulait faire paraître avec son alcoolisme, son désespoir et sa bipolarité, mais également son tiraillement entre ses croyances.

Finalement, c’est quelqu’un qui en perdition depuis trop longtemps jusqu’à utiliser sa fille et se faire de l’argent sur son dos.

Souley Keïta : Déchiré, incertain et très souvent vulnérable. Est-ce qu’à travers Louis Séraphin on peut voir un être qui ne pourra jamais se relever tant qu’il ne fait pas amende honorable à son métissage et à son autre culture?

David Richard La Haye : Il n’est pas en harmonie personnelle, car encore une fois, il est tiraillé entre ses différentes cultures. Il ne comprend pas qu’il doit faire une acceptation globale de qui il est. En plus, cet homme n’a pas de repères, il se cherche très souvent en essayant d’avoir la foi ou d’appliquer ces principes religieux, mais il a certains côtés qui ne collent pas à cela, car il est un arriviste, avide d’argent et désespéré par rapport à ses problèmes. Sa quête sur ses origines est inachevée, une scène témoigne de cela. Ce moment très beau où il dit à son fils qu’il a été mis à l’écart dès sa tendre enfance en étant traité de métis. J’ai l’impression que cela peut résonner chez des gens issus de la diversité et qui ont pu être mis à l’écart. Pour notre personnage cela apparaît par rapport à son métissage, mais également en tant que francophone. Cet être déraciné doit faire la paix avec tout cela ou du moins le surmonter.

Souley Keïta : Il y a sans cesse la lumière sur le clivage entre l’individu et la communauté, ce film est dans l’ère du temps où chacun va secrètement penser à son intérêt personnel en faisant croire à un intérêt commun. 

David Richard La Haye : Effectivement! En dehors du fait que ce soit un thriller psychologique, mystique, il était très important pour Jeremy Torrie, le réalisateur, de faire l’opposition entre l’individualisme sans aucune compassion et l’altruisme d’une communauté qui devrait être là pour supporter les uns, les autres, et qui ne le fait pas. Ce film pose la question de comment quelqu’un va être déchiré entre ces deux choix. C’est pour cela que les religions sont importantes dans ce film parce qu’elles mettent en lumière des personnages qui font tomber les masques et qui ont renié leurs vertus. 

Souley Keïta : Un rôle est souvent choisi pour se rechercher, pour s’exprimer sur nos travers, nos qualités. Qu’est-ce qui vous a attiré ou déplu chez Louis?

David Richard La Haye : C’est quelqu’un qui est touchant, car malgré ses nombreux défauts, Louis Séraphin est complètement cassé, troublé. J’adore ces personnages qui ont tous les défauts, qui sont en train de se noyer dans une solitude profonde ou dans un désespoir profond. En tant qu’acteur, c’est cela qui m’anime notamment lorsque je joue des personnages avec une immense densité de malheur, car je n’aime pas les personnages vides. J’ai été attiré par sa solitude et pour un acteur cela est du bonbon de pouvoir jouer, mais également de voir ce que cela peut créer comme travers chez quelqu’un. La dureté, la méfiance, la paranoïa, la confrontation amène chez notre personnage un visage shakespearien. Il est aussi désespéré que puisse l’être Hamlet. Cela rejoignait chez moi, au même titre que le curé Caron dans Les pays d’en haut, des personnages shakespeariens, car ils sont tellement denses. Ce qui me révulse chez Louis, ça vient aussi de ce qui m’attire. Il n’y a rien de gratuit dans ce personnage, car tout est connecté sur un intérieur dévasté.

Vivez ce drame horrifique dans les salles obscures de La Maison du Cinéma dès ce vendredi 7 mai 2021.

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