Considérant l’historique du Tribunal administratif du logement (TAL) fondé en 1980 et nommé Régie du logement jusqu’en 2020, je me suis étouffé à plusieurs reprises lors de la lecture de l’article de l’avocat Victor Gritenco paru dans la dernière édition d’Entrée Libre.
Au lieu de décrire le fonctionnement idéalisé du TAL sur papier et de prétendre que c’est une institution simple et neutre entre les locataires et les propriétaires, voici quelques aspects concrets de la réalité des traitements de « dossiers» au TAL. Soulignons également que sa naissance au Québec en 1980 n’est pas un cadeau du gouvernement, mais bien une réponse aux luttes des mouvements populaires avec notamment la création du FRAPRU en 1979. Inexistant ailleurs au Canada, le TAL est néanmoins incapable de protéger convenablement le droit au logement quoi qu’en disent les regroupements de compagnies immobilières et de propriétaires pour qui leur droit de faire l’argent ne devrait avoir aucune entrave et limite.
- Premièrement les frais moyens de 85 $ pour ouvrir une demande désavantagent les locataires évidemment derrière l’apparente égalité de frais demandés. Mais plus encore, contrairement à l’affirmation de M. Gritenco, si vous appelez (bonne chance pour l’attente !) ou vous vous présentez au bureau du TAL vous allez constater rapidement que la personne préposée est submergée et son unique rôle est de recevoir votre demande et non « d’assister gratuitement un locataire ou un locateur dans sa démarche ». Il y a 30 ans, oui, depuis de nombreuses années ce service est INEXISTANT. À Sherbrooke, la réponse au TAL est d’aller voir ou d’appeler l’Association des locataires de Sherbrooke. Espérons que la ville ne coupera pas leurs moyens en retirant leur modeste subvention annuelle récurrente existant depuis 2003 pour réaliser cela.
- M. Gritenco recommande de prendre un.e avocat.e si nous trouvons cela « trop compliqué ». Wow ! Les grandes compagnies de gestion immobilières et la quasi-totalité des propriétaires ont les moyens de se payer cela; pour les locataires c’est une faible minorité. Et si vous pensez que l’aide juridique est disponible, et bien non ! Leur service est débordé et se concentre sur les cas urgents et plus lourds notamment au niveau criminel.
- De plus, les délais sont à géométrie variable selon la demande, venant d’un.e locataire ou d’un.e proprio. Autrement dit, « si un locataire ne paie pas 30 $ de loyer, un propriétaire le poursuit et il va obtenir une audience en 3 ou 4 semaines. Mais si vous avez des coquerelles dans votre logement, et bien vous allez attendre des mois et des mois », illustre pour sa part l’avocat en droit du logement Daniel Crespo Villarreal. « Est-ce qu’on priorise les bénéfices d’investisseur immobilier ou bien la santé de nos communautés ? », renchérit Me Crespo Villarreal. »1. Les délais moyens pour avoir une audience sont passés de trois mois et demi à plus de cinq mois en 2021. Cela décourage grandement les locataires vivant dans l’insalubrité ou des bris tandis que la discrimination et le harcèlement sont très difficilement traitables selon les articles de loi au TAL. Le TAL est aussi une machine à expulsion; au moins 40 000 ménages par année au Québec sans s’assurer de solution pour les locataires expulsé.es. Vous avez dit plus d’itinérance ?
- De plus, M. Gritenco nous recommande d’avoir « une tenue appropriée » lors de l’audience des deux parties au TAL. Derrière cette apparente neutralité d’exigence se cache la réalité des classes sociales non seulement dans l’accès à une défense spécialisée comme un.e avocat.e (habillé.e convenablement bien sûr…), mais aussi dans la capacité de rester calme, de s’exprimer dans un français de qualité en plus de bien saisir les subtilités du processus juridique et ses pièges. Pour bien des locataires aîné.es, migrant.es, en situation de handicap et de pauvreté, leur audience au TAL peut être un véritable traumatisme quant à la négation de leurs droits et le refus des juges de bien entendre leur situation. Le mépris est répandu au TAL.
- Les amendes ne sont pas dissuasives et l’expulsion des locataires est réalisée depuis plusieurs années quand les cas de compensation en dommages et intérêts punitifs sont versés aux locataires ayant eu « gain de cause ». Pour des projets de flip ou de lieux d’enrichissement à grande vitesse, il est encore très payant de payer 25 000 $, 40 000 $ à un.e locataire brimée déjà expulsée et de l’amortir en quelques années, ou en une transaction à valeur ajoutée.
- Finalement, s’il est nécessaire d’utiliser tous les moyens et espaces pour défendre ses droits, il est aussi nécessaire de savoir que le TAL n’est pas neutre et est exclusivement dédié aux cas individuels. C’est dans l’information, le support et l’entraide au niveau de l’action collective que les locataires dans leur immeuble, leur quartier, leur ville peuvent s’organiser et défendre leurs droits pour un véritable contre-poids aux proprios et compagnies immobilières. Et non seulement de façon isolée et juridique dans un lourd et malheureusement souvent injuste processus au TAL.
1 Guillaume Cyr, Le Tribunal administratif du logement ne fonctionne pas, changeons-le !, Journal 24 heures, 12 mai 2022, en ligne, https://www.24heures.ca/2022/05/12/le-tribunal-administratif-du-logement-ne-fonctionne-pas-changeons-le