En septembre dernier, Charlie Hebdo faisait à nouveau la une des journaux et des réseaux sociaux en raison d’un dessin satirique sur la mort d’un enfant syrien sur une plage turque alors qu’il fuyait la guerre et tentait de rejoindre l’Europe avec sa famille.
La photo de ce malheureux enfant sans vie devint une icône, on peut en juger par l’existence d’une page Wikipédia à son nom. A nouveau Charlie Hebdo blasphémait, en caricaturant la photo mondialisée et sacralisée. Ceci est une histoire vécue d’une caricature qui me fit rire au plus profond alors qu’elle s’attaquait à une de mes icones.
Minute est un journal français d’extrême droite, relais médiatique du parti de même couleur politique: le Front National. A l’époque de l’élection présidentielle française de 2012 j’étais militant du Front de Gauche et participais de manière active à la campagne du candidat Jean-Luc Mélenchon.
Une campagne politique est une aventure humaine forte et profonde où l’on passe beaucoup de temps dehors à distribuer des tracts et poser des pancartes dans la rue, entre autre. Lorsque l’on est 5 mètres au-dessus du sol à placer une pancarte, les liens avec le camarade qui tient l’échelle deviennent très forts.
Suite à une dernière sortie nocturne pour embellir les murs de Paris de nos affiches rouges «Jean-Luc Mélenchon» je fis un pari avec mon camarade-porteur-d’échelle. Je ne me souviens plus de la question débattue, rien de politique il s’agissait de cinéma, mais je le perdis. Le gage était d’acheter au kiosque à journaux le fameux journal «Minute». La honte pour une personne de gauche, comme aller s’acheter Playboy lorsque l’on a 16 ans. Un gage bien trouvé pour un pari tenu avec trop de certitude pour être gagné.
Nous perdîmes les élections, largement. Notre score était honorable et nous en étions fier, il saluait en partie les efforts fournis pendant toutes ces semaines de campagne. JL Mélenchon avait prédit publiquement qu’il finirait largement devant la candidate du Front National. Le résultat était sans appel: le Front National obtenait deux fois plus de votes que notre candidat. Nous étions fiers de notre campagne, mais finalement humiliés par l’extrême droite.
Les élections perdues, il me restait tout de même un pari à honorer. Le regard fuyant, avec un sourire mal assuré, je demandais au kiosquier le journal «Minute» en bégayant des histoires de paris, d’échelles et d’acteurs de cinéma qui ne jouent pas dans les films qu’ils devraient. C’était bien sûr la première fois que j’achetais ce journal mais également que je le tenais en main et pouvais le lire. Je le parcourais avec curiosité.
Tournant la 2e page un dessin me saute aux yeux, comme un pop-up. Un trait fin représente la silhouette d’un homme qui se dégonfle comme un ballon de baudruche. Sa face est grimaçante, un rictus malsain avec un léger filet de bave au coin des lèvres. L’homme est mal peigné, mal rasé, dessiné d’un trait noir avec du rouge pour sa cravate. Pas besoin de légende à ce dessin: il représente la défaite de Mélenchon, il met en scène la vacuité de son arrogance face au Front National, et finalement, il nous remet à notre place nous qui avons cru gagner les élections et enterrer l’extrême droite.
Le dessin est cruel, la caricature de JL Mélenchon est peu flatteuse, mais elle décrit brillamment le sentiment des lecteurs du journal. J’ai ri! Avec une pointe au cœur parce que la campagne représentait un engagement fort. Mais j’ai ri, parce que ce dessin tapait juste. C’était aussi un rire jaune parce que le dessin était cruel, mais le rire se déclenchait en réaction à la pertinence de l’analyse du caricaturiste. J’ai ri simplement, de manière dépassionnée, j’ai ri de bon cœur sans que cela ne remette en cause mes convictions et mon engagement. J’ai ri un bon coup et donnais le journal à mon ami qui en s’offusquant du traitement réservé à notre champion électoral contenait un sourire franc et sincère.
Sans trouver de réponse adéquate au serpent de mer «peut-on rire de tout», j’ai appris que l’on pouvait rire de bon de cœur de Jean Luc Mélenchon.