Libre-penseuse, la féministe Thérèse Lamartine, née Thérèse Martin, s’est battue pour féminiser son patronyme. Entrevue avec une femme décidée et franche, sur ce pan de son histoire.
Gabriel Martin Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer le contexte qui vous a menée à féminiser votre nom de famille?
Thérèse Lamartine C’était aux alentours de 1973. Avec deux amies, je discutais fréquemment au sein d’un groupe de conscientisation. Notre réflexion était alimentée par les écrits des féministes radicales de l’époque. Nous avions réfléchi sur la notion de patronyme et nous nous sommes dit «Pourquoi ne pas se donner des matronymes?» Nous y voyions l’idée de rompre avec une tradition séculaire oppressive. L’idée semblait révolutionnaire.
En 1975, alors que j’entreprenais la fondation de la Librairie des femmes d’ici avec une amie, il me fallait remplir de nombreux papiers légaux. C’est au cœur de cette expérience personnelle et politique que j’ai commencé à signer «Thérèse Martin, dite Lamartine». Depuis, je suis restée fidèle à ce choix fondamental.
Gabriel Martin Pour utiliser ce nouveau nom dans la vie sociale et sur vos pièces d’identité, vous a-t-il fallu entreprendre de nombreuses démarches légales?
Thérèse Lamartine Je ne voulais pas changer légalement de nom et, de toute manière, je ne le pouvais pas; pour changer légalement de nom, il faut généralement qu’il soit la cause de préjudices jugés sérieux. Or il était entendu que mes raisons n’auraient jamais été jugées fondées. Toutefois, j’étais tout de même autorisée à faire reconnaître Lamartine comme un nom usuel, après l’avoir utilisé pendant deux ans. J’ai donc facilement obtenu toutes mes pièces d’identité à ce nom. Mis à part un contentieux avec le ministère des Transports, il n’y a plus eu d’anicroches à partir de 1978.
Gabriel Martin Toutefois, il y a quelques années vous avez officiellement changé votre nom pour celui de Thérèse Lamartine. Que s’est-il passé?
Thérèse Lamartine En 2010, je me suis heurtée à un problème tout à fait inattendu. J’ai suivi un séminaire au CÉRIUM, à l’Université de Montréal. Quand est venu le temps de me donner mon certificat, il n’était pas question d’y mettre mon nom de famille. Or, tous mes autres diplômes reçus dans cette université sont à ce nom. J’ai écrit des lettres au ministère de l’Éducation pour lui manifester le désarroi dans lequel il me plongeait, en expliquant que toute ma vie est organisée autour du nom de Thérèse Lamartine et que plus personne ne me connaît sous le nom de Martin. Le Ministère est demeuré inflexible. Je me suis alors dit: «il est peut-être temps». J’ai procédé de façon légale, après 40 ans. J’ai déposé des copies de mes comptes de taxes, comptes bancaires, quatrièmes de couverture, diplômes… Avec tout ce que j’ai produit, le Directeur de l’état civil ne pouvait pas refuser! [rires] En 2012, mon changement de nom a été officialisé.
Gabriel Martin Votre combat étant avant tout symbolique, diriez-vous que la féminisation de votre patronyme a tout de même eu des répercussions bien concrètes sur vous?
Thérèse Lamartine Oui. La question du changement de nom devient vraiment importante sur le plan identitaire. En 2010, quand on a refusé de me donner un certificat à mon nom d’usage, j’ai été si secouée que j’en ai pleuré. Lorsqu’on le vit, on comprend mieux comment le nom avec lequel on existe socialement participe de façon importante à la construction identitaire.
À ma grande surprise, lorsque jadis j’ai entrepris mes premières démarches et que mon souhait de m’appeler Lamartine est devenu réalité, je n’ai pas trouvé ça si facile. Je brisais tout de même un certain lien d’ascendance avant mon père. J’ai alors vraiment compris de l’intérieur ce que ça voulait dire quand une femme qui se mariait changeait de nom. Même si c’était parfois par choix, l’impact identitaire n’en était pas nécessairement réduit. Mon nom féminisé est profondément lié à qui je suis. Dans cet esprit, je me plais à penser que j’ai donné naissance à mon nom et qu’il va mourir avec moi! [rires] Et ce nom illustre bien un aspect de ma personnalité: je pense avoir été une des rares femmes à être demeurée rebelle pendant quarante ans! [rires]