On veut tout faire ça dans les règles. On a dit à Chloé que ce n’était pas de sa faute.
« C’est pas de ta faute », la phrase classique de tous les bons drames, de Good Will Hunting jusqu’à Monsieur Lazhar. Des mots qui se veulent réparateurs, mais qui font pleurer. Ma cousine et son copain, pardon, ex-copain, sont de bons parents et voulaient clarifier les choses avec leur fille dès le départ. J’admire comment ma cousine parle de la situation, son apparent détachement. Moi, si je me séparais d’une union de dix ans, avec une petite fille dans le décor, je capoterais, tout simplement. Quand je me sépare de quelqu’un que j’ai fréquenté deux semaines, je remets tout en question alors…
Mais comment deux personnes en apparence si complices peuvent-elles bien en venir là? On peut réussir une séparation, je suppose. Ma cousine ne dit jamais de mal de son ex, encore moins devant sa fille. Elle arrange par courriel leurs rendez-vous et se montre polie mais distante pour ne pas déranger leur nouvelle routine.
Elle a trouvé un appartement en un temps record. Elle a toujours été très forte en organisation. On dirait qu’elle avait prévu la séparation depuis un an au moins tellement elle est cartésienne et efficace. Elle me téléphone pour m’annoncer la séparation, tout comme elle l’avait fait pour son mariage : avec classe et positivisme.
La mauvaise nouvelle ressemble à une bonne, dans sa bouche. Je ne vois pas l’ombre d’un doute dans son timbre de voix. Elle est la maîtresse de sa vie, clairement, et ce que je croyais être un modèle pour moi en devient un différent. Car peut-être la longévité d’un couple ne suffit pas. Être heureux ou épanoui ne passe pas toujours par les étapes prévues.
Dans d’autres générations, partir n’était pas chose aisée, les droits des femmes étant moindres et leurs choix étant réduits. Aujourd’hui, on peut être avec quelqu’un de tout à fait potable et souffrir quand même d’un manque de communication, de réalisation personnelle ou de projets communs. Le développement de la personne évoluant parfois aussi rapidement que celui des ordinateurs, il devient difficile de demeurer avec un modèle désuet ou qui refuse de faire les mises à jour qui s’imposent dans sa vie. Les bogues surviennent alors et les meilleurs réparateurs ne peuvent pas toujours en venir à bout.
Et il y a aussi l’amour, enfant de bohème, qui se moque bien des lois et peut frapper alors qu’on ne s’y attend pas. Mais ma cousine n’a rencontré personne. « Je veux du temps pour moi, j’ai des projets, tu comprends? » Être célibataire en même temps qu’elle, voilà qui me semble étrange. « Alors on va pouvoir aller veiller ensemble, c’est ça que tu m’annonces? », que je lui demande, moqueuse. « Ce n’est pas mon genre. Je pensais plus regarder pour un retour aux études, trouver un emploi plus motivant et me concentrer sur du temps de qualité avec Chloé. »
Je réalise que ce qui est pour moi un défi (rester seule) est pour elle une chance inespérée, une bouffée d’air qu’elle se donne afin d’apporter des changements à sa vie. Elle ne rêve pas de l’homme parfait ou de la relation idéale. Elle a simplement pris les moyens de se concentrer sur autre chose, sur tout le reste. Des tas de femmes comme elles doivent devenir médecins, archéologues, chercheuses pour un remède contre le cancer, que sais-je?
J’admire sa détermination, j’aimerais accueillir l’incertitude avec autant de grâce qu’elle le fait. Mais nous sommes différentes. J’aime voler de mes propres ailes, mais le piquant d’une barbe sur ma joue le matin me manque. Je ne rêve pas de grande robe blanche ou de table de douze enfants. Je voudrais juste quelqu’un qui pense à moi de temps à autre.
Les changements dans la vie des autres nous ramènent à nos propres failles et désirs. Quand je raccroche avec ma cousine, je sanglote. Je l’aimais beaucoup, son chum. Mais bon, personne n’est mort. C’est une transition. J’aimerais avoir une histoire à long terme, moi aussi. J’aimerais faire ma vie avec quelqu’un, même si on change, même si on devient parfois étrangers l’un à l’autre, même si on tombe malade physiquement ou mentalement. Et ce, même si c’est irrationnel et pas du tout à la mode. D’accord, disons juste le tiers de ma vie avec le même gars… Ou cinq ans? Le rêve !