L’univers musical du post-rock a de particulier que l’on passe autant de temps à lire le titre des pièces qu’à écouter de langoureuses évasions sonores de 20 minutes. Pour certain, c’est d’un ennui aussi mortel que celui qu’on éprouve lors d’un trajet d’autobus Sherbrooke-Québec. Pour d’autres, suffisamment fans pour détecter la différence entre une pièce de This Will Destroy You et une autre de Do May Say Think, le post-rock est la mutation du rythme vers la texture.
Le dernier opus de GY!BE, dont le titre G_d’s Pee AT STATE’S END! est plus facile à copier-coller qu’à prononcer, s’ouvre avec d’effroyables bruits d’interférence radio et un échantillonnage de voix peu intelligible racontant peut-être un alphabet militaire lourdement transformé par du traitement sonore. GY!BE nous jette au triple-galop dans une mécanique musicale qui évoque moins le désert western ou l’usine qu’un rythme aliénant du travail à l’entrepôt chez Amazon. Dans une ambiance contemplative à l’aube du cauchemar, les notes se saturent dans une pièce rythmée qui gonfle et dégonfle. La première longue pièce se termine dans des textures douces et paisibles qui finiront par s’écraser sur la confusion du monde.
La deuxième pièce, Fire at Static Valley, plus courte, évoque un réveil douloureux à travers les gravats. Rapidement, l’oppression post-apocalyptique s’installe dans la troisième pièce, qui débute sur un air semblable à la première pièce, mais qui débouche ici sur un refuge dans un exil menant au bord du ravin, puis la chute. Nous divulgâcherions la fin de la pièce en en racontant davantage.
L’engagement politique du groupe s’exprime dans l’abstraction des boucles et des canons aux imprévisibles issues. Plutôt qu’un manifeste, GY!BE nous livre une boîte de Lego sans plan de construction. À quoi serviraient de décorer la musique avec des paroles sinon de pervertir l’inspiration pour délivrer un message cru, au premier degré, à la température de la pièce ? Au dernier mouvement de l’album, le message est pourtant clair: si notre équipe ne gagne pas, nous sommes condamnés. Nous ne pouvons pas perdre, nous ne perdrons pas.
Et si la musique ne saurait transmettre même de façon imprécise les idéaux politiques du groupe, on retrouve ces demandes explicites dans le livret : «vider les prisons; prendre le pouvoir de la police et le donner aux quartiers qu’ils terrorisent; mettre fin aux guerres éternelles et à toutes les autres formes d’impérialisme; taxer les riches jusqu’à ce qu’ils soient appauvris». Et de conclure : «ce sont des temps de mort et notre camp doit gagner. on se reverra sur la route une fois que les chiffres chuteront.»
Ou bien, pourquoi pas, peut-on même oublier le titre de l’album, celui de ses pièces et le crédo du groupe. Plutôt que de terminer cette envolée musicale en espérant la victoire de son clan (Our side has to win), on pourra poser ses petites pattes en travers des sons en oubliant ces causes perdues ou à gagner et se laisser envoûter par ce violon qui descend les rapides pour rejoindre la Saint-François.
La touche Godspeed est évidente sur chaque pièce : atmosphères poignantes, crescendos hypnotiques, orchestration bruyante. Cet album transmute une inconfortable inquiétude (est-ce ça que l’on nomme l’angoisse ?) en un espoir émerveillé (est-ce ça que l’on nomme l’exaltation ?). Ces cinquante minutes post-apocalyptiques sur le thème de l’oppression militaire brillent par leur trajectoire, et vous mèneront au gré du courant sur ses clapotis vrombissant. Comme la 14.
Note: 🕊️🕊️🕊️💣½