On vit dans une société qui nous donne l’impression que la polarisation idéologique est en démesure. L’est-elle vraiment et est-ce représentatif de la situation collégiale ?
Pour mon projet de fin d’études en Sciences, lettres et arts, des professeur·e·s m’ont témoigné anonymement de leurs observations quant aux effets de la polarisation idéologique chez leurs étudiant·e·s. J’ai été amenée à constater que la polarisation qui s’incruste dans le milieu étudiant n’a pas uniquement une nature politique.
Un·e· professeur·e de sciences politiques interrogé·e mentionne qu’une majorité des étudiant·e·s ne s’informent pas assez sur les enjeux sociaux et politiques, à l’extérieur des cours, pour se former une opinion ferme et inébranlable sur ces sujets. Il est donc difficile, pour l’enseignant·e, d’observer une polarisation politique qui mènerait les avis à être plus radicaux.
En revanche, pour la portion de la classe qui est informée sur les débats sociaux actuels, on aperçoit une sensibilité nouvelle pour certains sujets : l’environnement, les questions raciales, la religion, les groupes identitaires. Un·e professeur·e d’histoire indique que cette sensibilité pique la curiosité de ses étudiant·e·s : « Il y a une envie de pouvoir parler des [enjeux polarisants] parce qu’ils ne savent pas comment les aborder, même entre eux. Ça les intéresse de voir comment certains sujets deviennent aussi sensibles, pourquoi et comment on en parle après. »
Cette sensibilité amène certain·e·s professeur·e·s à se remettre en question et à repenser leur manière d’aborder leur cours : « Comment parler des sujets sensibles ? Quels discours et quels thèmes [puis-je] aborder sans heurter ? Est-ce que ma profession me donne la légitimité de parler de ces sujets ? » D’autres ressentent la nécessité de se réguler dans leurs paroles en craignant les réactions vives : « Je prends 1000 précautions rhétoriques, je passe par Voltaire, Chomsky, je noie ma propre pensée dans des autorités qui prônent la liberté d’expression pour tous, même de la personne avec qui je suis en désaccord. »
Malgré les moments sensationnalistes majoritairement représentés dans les médias lorsqu’il est question de polarisation, un·e professeur·e en communication souligne que les effets du phénomène sont différents dans ses classes. Lorsque cet·te enseignant·e aborde un sujet sensible, contrairement à des réactions hostiles, c’est une aphasie qui se manifeste. Son interprétation de la chose est qu’il est peu tentant pour les étudiant·e·s de débattre autour des enjeux explosifs. Une crainte s’installe chez eux par rapport aux effets que pourrait engendrer le fait de donner leurs avis en classe.
Avant de penser à la polarisation entre la gauche et la droite, c’est la polarisation sociale et humaine qui prime dans les classes du Cégep de Sherbrooke, selon un·e professeur·e de sciences politiques. Ses étudiant·e·s sont de plus en plus loin les uns des autres : « Un éloignement s’opère entre les êtres humains qui sont assis devant moi. » Les gens ont moins le courage de se parler, de lever la main, de présenter leurs points de vue et de le défendre.
Les professeur·e·s, en sommes, ont rappelé la nécessité du débat respectueux pour l’avancement social, spécialement dans le milieu de l’éducation. En soi, les pôles politiques et les divergences d’avis ne sont pas un problème. Un·e enseignant·e en sciences politiques soutient que le problème prend place quand les pôles s’éloignent et que le centre devient inacceptable : « Plus les gens sont éloignés, plus ils sont en colère les uns contre les autres et plus ils ont tendance à penser, du fait de s’éloigner d’une position de compromis, que le compromis en soi est inacceptable. Le danger de la polarisation, c’est [qu’on] ait l’impression qu’on est tellement loin dans nos opinions que ça ne donne plus rien de s’écouter. Alors qu’en fait, c’est une très grande majorité des étudiant·e·s qui ne se retrouvent pas aux pôles. »
Ainsi, garder une ouverture d’esprit et tenter de comprendre l’autre est primordial pour atténuer les effets de la polarisation selon un·e professeur·e d’anglais. Contrer la polarisation idéologique passe par l’acceptation de l’avis contraire au sien. Après tout, un·e enseignant·e en histoire rappelle que la polarisation idéologique n’est pas une fatalité irréversible : « Il y a des étudiant·e·s qui sont fermement convaincu·e·s. […] Mais ils ont toute la vie pour évoluer dans leur vision des choses. »