Entrée Libre vous invite à savourer le temps long. En cette occasion de la sortie du film « À tous ceux qui ne me lisent pas » inspiré de la vie du poète Yves Boisvert, nous ralentirons pour savourer les plaisirs de la création, dans l’art d’être présent dans une découverte en série.
En décembre 2012, Entrée Libre a capté le regard pénétrant d’Yves Boisvert comme récipiendaire du Prix à la création artistique du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Louis Hamelin, auteur de la Constellation du lynx, l’a décrit comme un digne successeur de Gaston Miron et a souligné que la contribution d’Yves Boisvert est une « géographie réimaginée de notre territoire littéraire. »
À l’époque, suite à l’annonce du prix, M. Boisvert a songé à payer ses dettes idéologiques. Celles-ci ont dû (malheureusement ou heureusement) inspirer sa poésie. Oui, un grand poète vibrant, ne laissant pas indifférent dans la chair et l’esprit, suscitant frisson et réflexion.
Pour la cause, nous irons toucher du doigt la sensibilité du monde en tendant l’oreille à la poésie des mots et des images de par les artisans du film « À tous ceux qui ne me lisent pas ».
À ce 1er volet de la série, nous aurons la vision du réalisateur-scénariste Yan Giroux et du co-scénariste, Guillaume Corbeil concernant la trame narrative et la signature visuelle du film (un plus pour les profanes qui souhaiteraient agrémenter leur expérience de visionnement).
Par la suite, dans une seconde parution, nous serons rejoints par les acteurs principaux Céline Bonnier (Dyane Gagnon) et Martin Dubreuil (Yves Boisvert). L’intérêt de scinder en plusieurs parutions permet de goûter pleinement au dévoilement de chacun répondant, entre autres « pour moi, un trip d’artiste c’est… » ponctué de leur vécu en exemple. Aussi, nous en saurons plus sur « quelles traces sont laissées à l’identité lorsqu’on habite un personnage? ». Enfin, nous terminerons cette série avec leur point de vue au questionnement : est-ce qu’il y a une part de déni dans l’utopie?
Comme quoi il est tout aussi intéressant de s’attarder aux créateurs qu’à l’œuvre en soi! D’ailleurs, vous trouverez une critique spécifique au film en suivant ce lien : http://dev2.bastacommunication.ca/entree_libre/2018/11/23/chien-de-ruelle/
Maintenant, plongeons ensemble dans l’aventure de la création avec Yan Giroux, réalisateur-scénariste Guillaume Corbeil – coscénariste.
EL : Qu’est-ce qu’une trame narrative et quelle est la particularité du film?
GC : Le principe même d’une trame, c’est quelque chose qui se tisse. Le fil est ce qui est raconté dans une suite d’images donc c’est l’histoire. C’est un chemin émotif, un parcours qu’un personnage fait dans une suite d’actions, avec un début, un milieu et une fin. Cela semble basique, mais c’est fondamental.
J’ai entendu parler des courts métrages de Yan, très impressionnistes, avec des moments, des bulles qu’on ouvre… Évidemment sur 1 h 40, on a besoin d’un fil et c’est ce qu’on a appris à construire, à la dure, soit à tisser à travers tout un film.
YG : C’est devenu une obsession en cours de route! Un court métrage peut se construire autour d’un flash ou d’une idée, tandis qu’en long métrage, il faut s’assurer sur la durée de bien placer les pions de cette structure pour garder le spectateur avec nous, puis de le mener jusqu’à la fin avec le résultat souhaité.
Avec la poésie, plus impressionniste, le court métrage permet d’explorer des idées plus radicales. On peut se permettre d’être plus éclaté quand on s’engage dans un court temps. Mais dans le long, si on veut que l’expérience de visionnement soit enrichissante, la trame narrative nous permet de garder le spectateur avec nous et le lien avec nos personnages.
Quelle est la signature visuelle du film?
GC : C’est le film de Marc (fils de Dyane), plus tard c’est lui qui fait ce film-là. Puisqu’il est fasciné par les jeux de lumières, c’est comme sa caméra qui va dans les lumières.
YG : Comme on parlait plus tôt, le langage du film rejoint l’esthétique de mes courts-métrages basé sur le plan-séquence. C’est un peu comme une phrase où les moments s’enchaînent comme un poème. Suivre le personnage et un moment de le quitter, pour faire vivre quelque chose de sensoriel aux spectateurs. Cela se communique autour de ce que le personnage vit, sans être précisément relié à l’action.
C’est vraiment un plaisir de prendre cette liberté-là, de détacher le personnage parce que je trouve que le lieu, la lumière, le son vont faire vivre quelque chose en lien avec l’expérience de notre personnage et qui est aussi plus libre. Comme à la cour à scrap, on l’abandonne pour explorer les lieux.
C’est de faire vivre la poésie à travers les outils du cinéma et le langage cinématographique. Comme la poésie, c’est de tester les limites du langage et de voir comment tordre le langage pour le faire sortir de sa fonctionnalité. Pour arriver à ce que les mots révèlent quelque chose de plus grand, par rapport à une confrontation, par la création d’images inédites.
Quand on va dans les limites, il y a des choses qui nous parlent, mais on ne sait pas pourquoi. Avec la caméra, on essaie de reproduire ce processus, de pousser le langage cinématographique dans ses limites pour faire vivre ce qu’on n’arrive pas à expliquer, mais qui rejoint ce sentiment-là de poésie. En jouant avec la continuité en plan-séquence et le choc du montage par une coupe d’une scène à l’autre, cela va créer une confrontation, une émotion. Utilisé de cette façon-là, c’est de continuer notre hommage à la poésie et au poète.
En terminant, le travail de l’excellent directeur photo Yan Laguarde (All You Can Eat Bouddha) est salué.
Comme vous voyez, le temps long est nécessaire afin de profiter du plein déploiement auquel ses artisans nous donnent accès de par leur ouverture et générosité. La suite à la prochaine parution avec la relation aux Chaouins pour influencer l’image, le scénario et les acteurs au micro.