Combien de fois, bien que militante et féministe convaincue, suis-je restée bouche bée ou ai-je totalement perdu mon calme légendaire devant des arguments sexistes et biaisés visant à enlever toute légitimité aux luttes féministes actuelles? Trop souvent, à mon avis. Alors, voici quelques pistes de réflexion visant, bien modestement, à briser le cercle vicieux des arguments bidon.
Dernièrement, j’ai découvert Geneviève Fraisse, une philosophe française qui s’est donné un mandat très ambitieux : historiciser le discours sur les sexes et le genre. En fait, la lecture d’À côté du genre (La Découverte) m’a permis de réaliser comment les débats sur l’égalité des sexes sont souvent voués à l’échec, puisqu’on y compare des pommes et des oranges et je ne parle pas ici des femmes et des hommes.
Comme l’explique bien Geneviève Fraisse, on oppose en tant que concepts l’égalité et la différence sexuelle. Or, le terme « égalité » fait appel au registre politique, alors que la « différence » est un terme qui renvoie à l’essence d’une chose. Il ne devrait donc pas y avoir de hiérarchie entre la revendication de la différence et celle de l’égalité. En effet, on fait trop souvent appel à l’égalité au nom de l’identique, du « même », alors qu’elle devrait plutôt s’incarner dans un registre politique : pour la revendication des droits et de l’accès au pouvoir, tant dans la sphère privée que publique. En fait, on est semblables et différent-e-s, il ne sert donc à rien de choisir « entre l’absence de différence ou la différence obligée ». On ne hiérarchise pas la différence tout comme on ne hiérarchise pas les formes d’oppression.
À bas l’essentialisme!
L’argument de la nature, donc de la différence des corps, est trop souvent transposé dans la sphère politique pour justifier les inégalités professionnelles et sociales. Or, comment répondre efficacement à ces arguments biaisés et archaïques sans perdre son calme? La première arme consiste à invoquer la légitime revendication de l’égalité et à utiliser pour ce faire les multiples études qui prouvent, statistiques à l’appui, que les femmes sont les plus pauvres, les premières victimes de la violence conjugale, qu’elles sont sous-représentées dans les sphères de pouvoir, etc. Bien que fondés et sans équivoque, ces arguments s’avèrent parfois insuffisants devant des spécialistes de l’argumentaire bidon.
Il faut alors avoir recours au concept de liberté : le droit de disposer de son corps et d’agir librement dans l’espace public et professionnel. Cela inclut évidemment le droit d’avoir recours aux tribunaux, n’en déplaise aux masculinistes de ce monde qui affirment que les statistiques sur la violence conjugale et la judiciarisation des cas d’agressions sexuelles sont le plus souvent abusives, pour ne pas dire l’expression d’un complot de « féministes hystériques ». Cela inclut aussi le droit de conserver son intégrité physique et sexuelle, n’en déplaise aux militant-e-s pro-vie et au Parti conservateur. Le but est bientôt atteint et votre adversaire semble désarmé-e? Il ne reste qu’à déconstruire sa conception binaire des genres pour crier victoire!
Discrimination… positive?
Est-il pertinent d’utiliser la différence sexuelle et de l’instaurer en principe de discrimination, même « positive », lorsque nous-mêmes, féministes, contestons l’essentialisme binaire et ses incidences dans la construction et la division des rôles sociaux et professionnels? Utiliser la différence pour atteindre l’égalité, non entendue comme identique ou opposée à la différence, mais bien en fonction de l’histoire et du contexte socio-économique actuel, semble par contre tout à fait légitime. De même, de telles mesures permettraient ultimement aux femmes (y compris aux personnes qui s’identifient comme femmes) d’agir plus librement dans l’espace public et professionnel. Mais ces politiques en valent-elles la chandelle? L’appel à la différence est-il un recul pour le féminisme; nous enferme-t-il dans des définitions prédéterminées des sexes? Sont-elles un mal nécessaire à appliquer de façon temporaire? Je crois que puisque nous sommes à la fois différent-e-s et semblables (il y a plus de différences à l’intérieur d’un même groupe qu’entre deux groupes différents), la discussion doit se poser du point de vue politique, sur l’utilisation sociale que l’on fait de la différence « biologique » et sur ses incidences en regard de l’égalité et de la liberté.
Je laisse la question ouverte en espérant que ces quelques pistes de réflexion animent vos débats et vous permettent de passer un 8 mars à l’abri des raccourcis idéologiques et du sexisme ordinaire.