Jacques Laval est un designer industriel consultant depuis 35 ans et professeur maintenant retraité. Il est l’auteur de l’essai « De la mondialisation au local. Changer d’échelle pour décarboner la planète » (BOUQINBEC, 2018).
1- Croyez-vous que nous avons la capacité de réduire de 50 % nos GES ?
Nous avons la capacité de le faire maintenant. Allons-nous prendre les moyens et les décisions pour y arriver ? J’en doute. Alors qu’il faut changer nos façons de faire et l’économie de fond en comble nos différents paliers de gouvernements ( fédéral, provincial et municipal) vont établir des objectifs présentés comme déterminants, volontaires, mais dans les clous de la doxa néo-libérale : va pour de la décarbonation, mais avec un PIB en croissance pour se la payer. On apercevra les mesures de mitigation ou de compensation, « l’électrification des transports » avec l’illusoire voiture électriques et l’amélioration énergétique des bâtiments de loin la mesure la plus évidente et réalisable. Mais cela ne mènera pas à l’atteinte des 40 à 45% de réduction en émissions de carbone pour 2030 annoncé récemment par le gouvernement fédéral et encore moins à la neutralité carbone pour 2050.
2- Alors comment ?
S’il faut changer l’économie, ralentir et réduire drastiquement nos besoins en énergie on ne peut pas réglementer ou légiférer un ralentissement de la consommation, car nous sommes tous impliqués par nos emplois et nos pensions de retraite dans l’économie globalisée.
Il y a tout de même des brèches dans l’économie néolibérale par lesquelles s’engouffrer. Tout d’abord en finir avec le surdimensionnement de l’économie mondialisée et la compétitivité « de classe mondiale » fortement externalisée (conséquences environnementales et sociales désastreuses) en amorçant le redéploiement soutenable de l’économie locale; le made in local, mais soutenable.
La soutenabilité est le seul moyen (éventuellement systémique) pour contenir et ralentir l’économie de linéaire depuis l’extraction, jusqu’à la distribution et le transport mondial d’une multitude de produits, équipements et systèmes absolument pas essentiels et surtout obsolètes. Cette économie consumériste émet globalement plus de la moitié des émissions de carbone de la planète.
3- Vous avez le projet de fabriquer collectivement 15 objets essentiels. Qu’en est-il ?
J’ai démarré il y a un an un projet expérimental de conception visant la fabrication locale d’objets essentiels, soutenables. Dans mon podcast #2 il y avait un devoir auquel les internautes ont participé ici et en Europe qui consistait à nommer les 15 objets essentiels à partir d’une liste d’une soixantaine d’objets du quotidien. Déjà là, l’idée de se concentrer sur les seuls objets essentiels représente un sérieux coup de frein pour l’économie surdimensionnée dans laquelle nous sommes empêtrés et si on s’y met localement un peu partout sur la planète on atteindra nos objectifs de décarbonation.
Nous planchons donc publiquement, par Facebook, en cocréativité, sur un premier objet, le réfrigérateur soutenable, un objet symbolique, qui sera fabriqué avec les matériaux locaux de la récupération, du démontage et les matières renouvelables. Ces matériaux sont décarbonés et sont un des éléments importants dans le calcul de l’empreinte carbone. Le frigo soutenable doit répondre aussi aux 20 critères de soutenabilité énumérés dans le podcast #5 : démontable, réparable, entièrement recyclable, mais aussi qui vieillisse bien, soit de qualité et fabriqué localement…
Les pièces (sauf le compresseur lequel pour être fabriqué localement réclamerait des dizaines de millions de dollars en équipements spécifiques. Nous nous fournirons soit au Brésil ou en Corée) seront toutes fabriquées par les usines de formage existantes localement. On en trouve un peu partout : l’Estrie, la grande région de Montréal, Québec, Saguenay… Il n’y a donc pas à investir dans des équipements de production puisque tout est là, à porter de main et que ces entreprises sont disponibles et détiennent les compétences en plastiques métaux, bois…
Le frigo soutenable est conçu open source, de telle sorte qu’il soit disponible pour d’autres entités locales partout et que ces autres entités puissent utilisées les matériaux de leur récupération.
C’est donc par le redéploiement soutenable de l’économie locale que nous pourrons développer une certaine autosuffisance tactique tout en rencontrant nos obligations mondiales de réduction d’émissions de carbone.
C’est la décroissance appliquée, on l’expérimente ensemble entre concitoyens. Cette décroissance, état stationnaire, ou croissance zéro dont on parle de plus en plus ne veut pas dire misérabilisme, austérité, mais plutôt ralentissement, réduction et mesure en toute chose. Nous sommes capables de penser une meilleure vie sans le gaspillage, les pollutions et les inégalités dont l’économie de croissance nous afflige. Il nous revient, à nous concitoyens, en petits collectifs de mettre tout cela en place un objet essentiel à la fois localement.
4- Si les gens sont intéressés que font-ils pour participer ?
Ils peuvent me contacter sur Facebook ou par YouTube à travers les podcasts de l’Atelier de la soutenabilité appliquée.