Projection du documentaire Ayiti, mon toma, le 12 novembre dernier.
Ce soir-là, la salle du Tremplin, située sur Wellington Sud, en plein centre-ville de Sherbrooke, est bien remplie: environ 50 personnes de tous horizons. Le Carrefour de solidarité internationale (CSI) organise cette projection.
Nous sommes au terme de deux semaines de rencontres québécoises des organismes de coopération internationale, qui se déroulent du 6 au 16 novembre. À cette occasion, plusieurs activités sont proposées à Sherbrooke, gratuites pour la plupart, avec des conférenciers qui viennent partager leur expérience de coopération et leur regard critique sur le développement international, et des films, peu ou pas distribués, spécialement commandés pour l’occasion.
C’est le cas de Ayiti, mon toma, du réalisateur Joseph Hille, distribué par Fun films. D’origine haïtienne, le réalisateur aura pris trois ans pour compléter son projet. L’objectif: faire découvrir, de l’intérieur, une Haïti méconnue, riche d’une culture unique au monde et empreinte de magie.
Débarquer sur l’île
Nous entrons en terre haïtienne, bercés par le son de la mer et de la langue, par le soleil qui se lève sur l’île créole. On y arrive comme si nous-mêmes sortions de ces grandes barques, remplies à ras bord de voyageurs qui prennent place sur les épaules des porteurs pour éviter de se mouiller les pieds. De la terre ferme, nous survolons les champs. L’île est belle. Exotique.
Il y a la vie, la ville, le monde, les bus… il y a les immeubles debout et juste à côté, les tours éventrées. Nous sommes à Port-au-Prince, la capitale. Nous sommes dans les vestiges du séisme de 2010, où à chaque coin de rue se trouvent une maison intacte et une autre écrasée. C’est l’heure du salut au drapeau pour un groupe de policiers en uniforme, sur la grande pelouse verte et entretenue d’une imitation de maison blanche… écroulée.
Puis des pierres tombales… un petit cimetière dans les montagnes, qu’un homme entretient sous le soleil, en chantant: bienvenue chez Papa Danis, prêtre Vodou, qui vit face au cimetière de ses ancêtres.
Le pays vivant
Si Joseph Hille a amassé trois ans de matériel pour ce documentaire, on sent toute la volonté de vouloir transmettre quelque chose d’Haïti, d’important, de crucial, alors qu’on parle de préserver la culture, du désir d’autonomie et d’indépendance de la population qui craint la «zombification» de la technocratie étrangère, c’est-à-dire la perte de sa dignité. Mais l’ensemble se bouscule pour nous laisser une impression de longueur, des questions sans réponses sur l’actualité politique et des doutes quant à l’insistance d’amener la culture vodou à l’avant-scène.
C’est la discussion animée par le CSI suite à la projection qui donne tout son sens au film de Hille. «Un film dur…», une île complexe, mais magique, un peuple courageux et déterminé. Ces mots, on les entend dans le documentaire comme dans la salle, qui regroupe des coopérants d’Haïti, à leur troisième ou à leur quinzième voyage.
Complexe Haïti? J’en suis convaincue. L’île a une telle histoire, où se mêlent Afrique, Espagne et France, où la politique se teinte d’horreur, d’exil, de tuerie et d’exploitation, où la guerre de religion pointe son nez à grande présence de prédicateurs venus combattre la «barbarie vodou».
Ayiti, mon toma ouvre la porte à de nombreuses questions. Et si le documentaire ne parvient pas à tout mettre en lumière, il a au moins le mérite de susciter une réflexion sur l’avenir de l’île et le maintien de sa culture propre.
Pourtant, ni le réalisateur haïtien, ni l’anthropologue blanc (et aviné) qui vit là-bas depuis 40 ans, ni les coopérants de tous âges de la salle n’arrivent à exprimer avec précision ce qu’est l’île: seulement qu’elle est complexe… seulement qu’elle est magique.
Comme si Haïti ne pouvait qu’être vécue.