Dans le champ des possibles, acte I, scène 3, voici le dernier volet. Celui où la fin de notre chemin nous amène à regarder plus bas, un regard qui se dépose sur les petites choses que l’on pourrait voir en grandeur nature si on prenait le temps. Il y a la possibilité que plus rien ne nous échappe, par souci du détail. Ces mêmes soucis du détail nous poussent à être apostrophés, de fort belle manière, car au bout du « conte », à travers ces trois actes, le champ des possibles est initié avant tout par un bourgeon qui nous apprendra à regarder autrement l’art. CHAPEAU BAS!
Pour la scène 3, notre regard se dépose sur les dessins (tant et très bien détaillé) de Catherine Magnan, je laisse cette fois-ci à l’artiste le soin de mieux se conter pour permettre à son art de se raconter.
Souley Keïta : J’aimerais que l’on plonge dans votre background mais également dans votre processus en tant que créatrice et artiste, pouvez-vous nous en dire plus?
Catherine Magnan : Par où commencer ?
Je suis issue de la région et du village qui ne se situe pas très loin, Kingsey Falls. Il n’y avait pas ce merveilleux endroit.
À 17 ans, je suis partie à Québec pour faire mes études au cégep en arts plastiques, puis j’ai enchainé avec un baccalauréat en arts visuels et médiatiques à l’Université Laval. Une fois arrivée à Montréal, je me suis focalisée sur un autre art qui m’intéressait énormément, à savoir la danse, et plus précisément le tango argentin. J’avais découvert cela par hasard lors d’un cours qui s’offrait à Québec, dans l’établissement Les Salons d’Edgar.
Après ce cours d’initiation, je n’ai jamais arrêté et évidemment la communauté de tango à Montréal est plus importante, c’est pour cela que je suis venue dans cette ville avec le but de danser plus. J’ai pratiqué tous les jours dans le but de devenir une danseuse professionnelle le plus vite possible. C’est aussi des années où j’ai été très dure avec moi-même, mais j’ai pu vivre constamment, durant les 2-3 ans à Montréal, mes passions pour le tango argentin et l’art visuel. Ma spécialité à l’université, ce qui m’animait et que j’aimais vraiment, c’était l’estampe, puis une fois mes études arrêtées, je n’avais plus les moyens financiers et physiques pour avoir accès aux équipements que cet art requiert. Je me suis remise au dessin, car ça se rapprochait le plus près de cet art. Auparavant, j’avais fait beaucoup de peinture, mais j’ai perdu le goût d’en faire après avoir découvert l’estampe. Ce fut vraiment démotivant de ne pas pouvoir m’exercer à cet art, que le tango a commencé à prendre une si grande place. J’avais à cette époque un partenaire qui était professeur avec beaucoup d’expérience et avec qui j’ai voulu partager mon rêve, celui de me rendre à Buenos Aires pour vivre, danser le tango. Il a dit allons-y en voiture et j’ai dit oui. Nous nous sommes préparés pendant deux ans à essayer tant bien que mal d’avoir des sous, mais nous étions tous les deux des artistes. Nous sommes partis avec trop peu de moyens dans notre voiture que nous avions transformée à l’intérieur pour cette excursion. Le voyage a finalement pris beaucoup de temps, plus de temps que prévu. Après les six mois aux États-Unis, nous nous sommes arrêtés un temps, 5 mois, au Mexique où nous avons appris tous les deux à parler l’espagnol. Nos chemins se sont défaits au Pérou, par la suite, je suis retournée en Équateur avec la personne qui est à ce jour mon mari. C’est avec mon mari que nous avons poursuivi mon rêve, nous sommes allés en Argentine où nous sommes restés un an et où j’ai dansé les meilleures danses de ma vie.
La situation financière en Argentine, durant l’année 2017, a été une contrainte pour nous, car le peso avait tellement perdu en valeur face au dollar, que si nous n’avions pas pris la décision de partir, on serait probablement coincé, car on gagnait nos vies en peso.
De retour à Quito, là où réside la famille de mon mari, ma passion s’est étiolée, car il n’y avait plus vraiment de tango, il n’y avait plus les bons danseurs avec qui danser et cela a fini par ne plus devenir une priorité, notamment lorsque je suis tombée enceinte.
Le retour au dessin n’est pas vraiment un retour, car durant tout le voyage, j’ai continué à dessiner dans mon cahier, d’ailleurs j’ai rencontré une femme aussi gentille que les femmes de la Galerie G de BR, une femme courageuse qui m’a permis d’exposer mes œuvres et d’autres œuvres qui n’étaient pas encore faites dans sa galerie d’art qu’elle ouvrait à Quito. Je pense qu’à partir de ce moment-là, on savait que l’on reviendrait au Québec, mais il y a eu cette décision d’appliquer mon art, d’appliquer tout mon background dans ma vie.
Souley Keïta : Le souci du détail comme une vie que l’on aurait manqué, avec toutes ces étapes. Dans le champ des possibles, toute possibilité est bonne à prendre. Était-ce important de redonner, dans ton art, l’ensemble des facettes de ce que l’on met en lumière ?
Catherine Magnan : Les gens ont souvent plus de facilités à mettre des mots sur mon art. Aux études, on nous demande beaucoup ces écrits, ces dissertations, ces mots pour définir notre travail. J’ai toujours eu de la difficulté d’expliquer mon art, car il y a quelque chose d’inexplicable pour moi. Oui, il y a un souci du détail que je vois et que j’ai envie de montrer. Les choses que je dessine sont souvent très petites. Il m’est arrivé de faire des paysages, dessins que je souhaite faire de temps en temps, mais en général, il est vrai que je me focalise plus souvent sur les petites choses. Lorsque je me promène, mon regard est souvent attiré par une plante, un détail, un champignon sur un arbre, des petites choses qui me disent beaucoup. Je suis une grande amoureuse des dégradés avec l’effet que ça fait visuellement et qui me donne l’impression de « manger » cette chose.
Souley Keïta : À l’image de l’oignon, s’éplucher pour mieux comprendre, mieux se comprendre. On voit dans ton art une nécessité de voir ou de comprendre un cycle de création qui te réunit avec les trois autres créatrices de cette exposition. Est-ce qu’il faut éplucher ta vie pour mieux comprendre ce que tu es devenue aujourd’hui par le biais de ton art ?
Catherine Magnan : C’est une forme qui me fascine énormément et cela va continuer à me fasciner pendant longtemps, car j’ai d’autres œuvres qui vont vers ce cycle. La dernière œuvre que j’ai faite sort un peu de cette vision et je trouvais cela intéressant, mais sur les autres œuvres, il y a une question de composition avec ce qui va à l’intérieur, à l’extérieur, etc. C’est une forme qui est aussi alléchante que le dégradé avec une réflexion sur le microcosme. Il y a cette idée que l’on veut regarder à travers une loupe ces objets, il y a quelque chose qui se joue avec le petit monde à l’intérieur du cercle. Il y a l’impression que ces œuvres effectuées à des années différentes, 2016, 2018, 2019, 2022, permettent de me voir moi aujourd’hui, mais également de me comprendre sur ces autres périodes. Cela me permet également de me comprendre avant avec une perspective qui change lorsqu’on regarde un dessin de près ou de loin. Souvent lorsque je dessine, c’est souvent de très près, mais il faut parfois prendre du recul.
Je vous invite dans ces dernières semaines à vivre, ou à revivre la très belle exposition Le Champ des possibles à la Galerie G de BR.