Entrée Libre présente ce mois-ci le premier épisode d’un tout nouveau roman-feuilleton d’Evelyne Papillon, qui sera publié en huit épisodes tout au long de l’année.
J’avais rencontré Vincent sur un site Internet pour célibataires. Ça n’a pas l’air romantique, comme ça, mais il se trouve que le gars est super gentil, il me fait rire, bref, je l’aime. Il est très différent de moi cependant. Là où je prendrais un mojito, boisson sucrée et exotique, il ne supporterait que de la Coors Light, amère et américaine (on dirait du Luc de La Rochelière). Pendant que je me tape des briques de 500 pages, il prend mon ordinateur en otage et y tue des zombies dans un jeu en ligne, un truc d’équipe où il parle dans son micro pour partager à ses alliés sa stratégie.
Bon, je sais que, malgré ses goûts très éloignés des miens, nous avons une réelle complicité, et je miserai là-dessus. J’espère tant qu’il vienne habiter avec moi, mais il n’aime pas trop la ville, et il me faudra beaucoup de persuasion pour le convaincre. J’ai réfléchi à un plan assez simple : lui faire découvrir les joies de Sherbrooke petit à petit et ouvrir son esprit un peu du même coup. Suite à quoi il s’installera avec moi, et nous filerons un bonheur pas parfait, mais tout de même enviable.
Je crois fermement que les gens qui lisent peu ou se disent rebutés par le monde artistique en général n’ont tout simplement pas découvert le style qui leur convient, toutes disciplines confondues. Si on n’aime pas Amadeus Mozart, on ne dira pas qu’on n’aime pas la musique car, en revanche, il se peut très bien qu’on aime Bernard Adamus. À ne pas confondre. Les gens gagneraient à essayer une sortie culturelle de temps à autre pour découvrir leurs goûts, c’est certain, et Vincent n’y fait pas exception.
Lui et moi, nous nous complétions, c’était bien, mais ce n’était pas assez. J’en voulais davantage, sinon je me serais sentie sur une autre planète auprès de lui. Et comme le chantait Lili Fatale : « la solitude à deux est aussi fatale que se jeter de la poudre aux yeux ». J’amènerais Vincent dans les endroits incontournables de Sherbrooke et je lui donnerais l’occasion de se perfectionner. Je l’inciterais à lire, à réfléchir au monde qui l’entoure et à mieux s’exprimer. Ce gars est intelligent, il a juste besoin d’être stimulé pour s’épanouir. Il a du potentiel et je vais le prouver.
Au bout de quelques sorties, il sera non pas un autre, mais une meilleure version de lui-même. Je pourrai alors le présenter à mes parents et à mes amis, à qui j’en parlais jusqu’ici sans oser donner trop de détails, car je savais que ce n’était pas gagné. Je le vois un peu comme une expérience, mais cela reste éthique car, même si je fais des tests sur lui à son insu, il n’y a rien qui puisse endommager son corps ou son esprit. Ce n’est pas comme si je voulais changer sa garde-robe ou que je lui demandais d’arrêter d’être sportif ou, pire, de ne plus voir ses amis. Ce n’est pas du contrôle, c’est une envie d’amélioration. La transmission de connaissances que je vise se fera tout en douceur, dans le plaisir. Et s’il montrait une résistance au changement, bien, je lui expliquerais que justement, je cherche à ajouter des éléments à son répertoire et non à lui enlever ce qu’il a déjà. Ce n’est pas pire que lorsqu’il essaie de m’expliquer les règlements du hockey ou ceux du combat ultime. Je déteste ça, mais au moins, je me sens moins niaiseuse quand il commente un match.
Ainsi, chaque fois qu’il descendra me voir en ville, nous irons à un endroit qui m’est cher, que ce soit un café, une bibliothèque, un bar, un parc, et je lui ferai découvrir un univers, en espérant qu’il l’apprécie. Il s’imprégnera de l’ambiance, pourra y vivre l’expérience sherbrookoise, verra qu’il n’y a pas toutes ces possibilités dans son patelin et, qui sait, sera peut-être plus tenté de venir me rejoindre. J’espère vraiment que Vincent comprendra toute l’importance pour moi de ces lieux, de mes œuvres favorites, de ma philosophie de vie. L’idée est de ne pas lui révéler ma démarche afin qu’il ne se sente pas manipulé car, je me répète, il ne l’est pas. C’est aussi banal que de changer l’huile d’une auto : le moteur demeure le même. En voilà une métaphore qui serait à sa portée, d’ailleurs. Je veux qu’il apprenne les choses librement, mais avec un peu d’aide. Qu’il change radicalement, mais étape par étape et sans se douter de rien. J’ai déjà hâte à sa prochaine visite pour commencer le travail!