Les programmes d’initiation à la coopération internationale sont moins contingentés qu’avant. Serait-ce dû à l’individualisme de l’e-génération? Non seulement la rumeur n’est pas fondée, mais elle cache d’autres vérités.
Individualistes, branchés, réalistes, hédonistes… Avec les étiquettes qu’on leur accole, on n’est pas surpris d’apprendre que les jeunes ne se ruent plus aux entrevues de sélection des organismes de coopération internationale avec la même ferveur que la génération de leurs parents. « Il n’y a pas d’étude sur la question, mais globalement, nous observons un plafonnement du nombre de candidats pour les stages Québec Sans Frontières au cours des dernières années », affirme Mario Brière, conseiller au Ministère des Relations internationales. « Dans les années 1970, le ratio de candidats par poste était d’au moins 10 pour un. Pour l’année 2010-2011, le ratio pour les stages universels est de 3,5 par poste. »
Y a-t-il lieu de s’alarmer? Selon Stéphanie Harvey, responsable des stages internationaux à l’organisme Plan Nagua, si certains intervenants ont l’impression qu’il y a moins de candidatures, ce serait moins attribuable à une baisse de l’intérêt pour la solidarité internationale qu’à une explosion du nombre d’opportunités à l’étranger. « Les jeunes aujourd’hui ont un éventail de choix plus grand », affirme-t-elle. Mario Brière avance des chiffres qui vont dans le même sens. « En quatre décennies, on est passés de 2 à plus de 20 organismes qui offrent des stages de solidarité internationale, explique-t-il. De plus, ces stages ne sont plus la chasse gardée des organismes depuis que les institutions d’enseignement en offrent. »
Au-delà de l’évolution du milieu, Mario Brière remarque aussi que certaines organisations ont plus de facilité à recruter que d’autres. Il semblerait donc que les défis dépendent aussi des stratégies de promotion et de la notoriété de chaque organisme.
Selon Sophie Bourdon, qui a accompagné des groupes de volontaires à plusieurs reprises, la coopération internationale n’est pas ce qu’il y a de plus glamour et n’obtient pas la même visibilité médiatique que l’aide humanitaire. « Elle n’est pas nécessairement vouée à être populaire. Et puis il faut bien distinguer la coopération volontaire, donc bénévole, de celle qui est rémunérée. C’est tout le monde du bénévolat au Québec qui vit une profonde mutation », dit-elle.
Benoît Charlebois, directeur aux communications et à l’engagement du public à Jeunesse Canada Monde, rappelle par ailleurs l’importance de considérer les données démographiques avant de tirer des conclusions. « S’il y a moins de jeunes dans la population, il y a moins de jeunes qui appliquent! », lance-t-il. Néanmoins, il dit lui-même observer la tendance contraire : « Pour notre programme Jeunes leaders en action, bon an mal an, 3000 candidats continuent de convoiter les 300 places offertes. » Pour ce qui est des stages Québec Sans Frontières, ils sont aussi plus de 300 jeunes adultes à trouver le moyen d’en insérer un dans leur horaire chargé.
On n’a plus les 18-35 ans qu’on avait
Si les organismes continuent de recevoir plus d’applications qu’il y a de places disponibles et si l’intérêt des jeunes ne fléchit pas, qu’est-ce qui a changé? « La génération actuelle ne perçoit plus toujours un stage en Afrique comme une expérience extraordinaire pour laquelle les volontaires sont reconnaissants, mais de plus en plus comme quelque chose qui va de soi », remarque Cinthia Pagé, ancienne volontaire et chargée de programme pour Carrefour Canadien International.
Marie-Stéphanie Duclos, du CSI de Sherbrooke, observe pour sa part une baisse de l’engagement dans le processus de formation pré-départ : « Aujourd’hui, les jeunes sont occupés, alors il faut jongler avec les horaires pour assurer la présence aux formations obligatoires. Avant, il y avait moins de négociation. »
À Plan Nagua, les formations ont dû être adaptées pour satisfaire un public informé de plus en plus tôt sur la réalité à l’international. « Il existe maintenant des programmes internationaux organisés par les écoles secondaires. Une fois adultes, ces jeunes-là veulent un programme plus poussé qu’un stage d’initiation », explique Stéphanie Harvey. Au CSI, la sensibilisation dans les écoles primaires et secondaires fait d’ailleurs partie de la nouvelle stratégie de diffusion des activités de l’organisme. « On croit que cela va avoir un impact à long terme et mener à une augmentation des candidatures. »
Le véritable enjeu : recruter des hommes
Les organismes sont unanimes : de tous temps, les hommes ont été moins nombreux à s’intéresser à la solidarité internationale que les femmes. À Jeunesse Canada Monde, on parle d’une proportion de 5 femmes pour 1 homme. « Il faut faire du ciblage pour assurer l’équité des genres. » Selon Marie-Stéphanie Duclos du CSI, les projets d’éducation ou de sensibilisation attirent les candidatures féminines. « C’est plus facile de recruter des gars avec des projets qui touchent au sport, aux arts ou à l’agriculture. » D’ailleurs, le problème est moins présent pour les stages que l’organisme offre en partenariat avec des établissements d’enseignement comme le Collège de Sherbrooke et l’Université de Sherbrooke. « Dans certains programmes universitaires, les hommes qui s’embarquent sont en majorité », affirme Mme Duclos. Néanmoins, dix-sept jeunes femmes sont parties le mois dernier avec le CSI comme volontaires dans le cadre du programme Québec Sans Frontières. Le nombre d’hommes? Zéro.