Une critique sans divulgâcher.
Que l’année cinématographique québécoise fut belle, palpitante, émouvante, innovante avec ces histoires, ces personnages que nous n’oublierons pas de sitôt. D’ailleurs, j’ai une pensée particulière pour le dernier récital, grandiose, dans Il pleuvait des oiseaux, de madame Andrée Lachapelle qui s’est éteinte durant la journée du 21 novembre.
Le cinéma québécois provoque un attachement incroyable à ces nombreux protagonistes « gris ». Lorsque j’évoque les personnages « gris » je désigne les protagonistes capables de nous donner et de nous extirper les émotions que nous attendons quand nous nous asseyons dans une salle obscure. C’est le cas du dernier film de Vincent Biron, qui nous montre des personnages complexes dans les à-côtés d’un sport considéré comme une religion au Canada et au Québec : le hockey.
Concernant ce troisième long-métrage du jeune et talentueux réalisateur, il ne s’agit pas d’un énième film sur des équipes qui s’affrontent pour remporter une coupe ou le championnat ou encore d’une équipe nulle qui devient forte à la fin.
Nous y découvrons deux cousins avec des rêves pleins la tête, l’un voulant rejouer avec les Barbares dans la prestigieuse LNH après une grave blessure au cou, l’autre qui se rêve en tant qu’agent d’un cousin dont le talent indéniable laisse souvent place à un manque de sérieux et de travail.
Lancé dans un road movie captivant, intrigant, le spectateur y découvre les nombreuses désillusions de J-P, interprété par Justin Leyrolles-Bouchard (Pieds nus dans l’aube, District 31, L’Échappée…), par rapport à un cousin égoïste et à l’égo démesuré, joué brillamment par Philippe-Audrey Larrue St-Jacques pour son premier long-métrage. Nos deux protagonistes prennent un itinéraire jonché de nouvelles et anciennes rencontres attachantes notamment avec Erin Carter en jeune fille qui va au mariage de son ex ou Vincent Graton recruteur et mentor. Des rencontres émouvantes avec la bouleversante Florence Longpré en mère monoparentale mais également drôles, et pour cela, il y a Jici Lanzon, en animateur radio. Nous n’oublierons pas Alexandre Landry en joueur de hockey professionnel émérite ou Marcel Leboeuf, en petit patron d’un magasin de sport.
Entrée Libre a eu la possibilité d’interviewer Vincent Biron, le réalisateur et deux de ses acteurs, Vincent Graton ainsi que Justin Leyrolles-Bouchard, qui terminent leur promo à Sherbrooke.
Souley Keïta : Est-ce que ce road movie est juste le chemin de la désillusion par rapport à nos rêves ?
Vincent Biron : C’est cela qui m’a fortement intéressé dans la prémisse du film. Je pourrais même dire que cela s’incarne esthétiquement dans le film. Sur le plateau, avec l’équipe technique, la directrice photo et la directrice artistique, j’avais appelé cela « l’esthétique de la déception ». Le but du film c’est d’arriver dans quelque chose de toujours plus décevant, parce que Jean-Philippe (Justin Leyrolles-Bouchard) qui décide d’embarquer dans ce road trip, avec son cousin (Philippe-Audrey Larrue St-Jacques), espère atteindre quelque chose qui sera meilleur pour lui et qui verra que très souvent la vie n’est pas contrôlable. C’est vraiment très juste que tu parles de chemin de désillusion car on a essayé de l’incarner physiquement dans les lieux et dans l’esthétique du film.
Souley Keïta : Il y a deux images frappantes dans votre langage cinématographique, dans le vestiaire, il y a cette porte au loin avec l’inscription « Succès » et en avant du plan au-dessus d’un des personnages, le mot « Famille », est-ce que Yves, n’est pas capable de voir et de prendre le bonheur juste à côté de lui ? La deuxième image, est celle où les joueurs ne frappent pas le bâton après la deuxième blessure de Yves, est-ce que on peut percevoir comme un retrait de toute identité sportive ?
Vincent Biron : Merci de l’avoir relevé. En fait ce n’était pas voulu, mais c’était un beau hasard. Nous sommes arrivés dans le vestiaire et il y avait ces mots au-dessus. Ce n’était pas calculé mais je me suis dit que nous avions quelque chose à raconter avec cela. Pour la deuxième image, c’est voulu et c’était pour montrer que Yves a vraiment atteint la ligne rouge et n’a plus le soutien de ses coéquipiers. Il le mérite un peu.
Souley Keïta : On a cette image du Titanic, ton cousin qui coule lentement et toi, en tant qu’orchestre qui reste inflexible malgré la chute. Est-ce qu’au fur et à mesure que l’histoire avance ta détermination à ne pas sombrer t’ouvre les yeux?
Justin Leyrolles-Bouchard : Oui, c’est un peu comme dire que à partir de maintenant je me débarrasse de sa présence et que je n’ai plus besoin de lui pour faire mon chemin et pour arriver à mes fins. Yves est un personnage qui va sans cesse mener la vie dure à son petit cousin donc il est inévitable de voir, enfin, mon personnage émerger.
Souley Keïta : Yves Tanguay, ton cousin, représente-t-il une figure paternelle que tu n’as pas?
Justin Leyrolles-Bouchard : Pas vraiment, j’ai plutôt, l’impression que c’est J-P qui est le père dans la relation avec son grand cousin. Je pense plus que mon patron (Marcel Leboeuf) peut avoir ce côté paternel ou également Dan Gé (Vincent Graton).
Souley Keïta : Il y a des symboliques fortes dans le film, est-ce que le rôle d’un agent et d’un recruteur dans le film, c’est d’embellir ou de détruire une carrière?
Justin Leyrolles-Bouchard : Pas vraiment, dans certaines gestuelles, je montre juste que je me dissocie de la carrière de mon cousin car on a personnage qui est tanné et qui pose enfin des limites.
Vincent Graton : Tu le vis comme une trahison, donc tu réagis à cela. C’est sa volonté, en tant qu’agent, de refaire surface dans une réalité autre. Dan Gé, pour moi, est une figure paternelle, protecteur. Souvent on peut imaginer un agent ou recruteur dans le rôle de méchant alors que là ce sont des personnages qui viennent donner une clé pour réussir. C’est sûr qu’il y a des agents malhonnêtes, dans mon métier comme dans bien d’autres mais il y a aussi des bons agents dans leur approche. Je pense que mon personnage de Dan Gé est de cette trempe. La scène de la toilette est un moment charnière, car à partir de ce moment, si on avait une suite et, tant qu’à romancer, on se dit qu’il aurait pu prendre J-P sous son aile.
Vincent Biron : Ah ! Moi je le veux ce film-là (rires), je veux que l’on fasse une suite comme une sorte de Jerry Maguire québécois.
Souley Keïta : Vous avez le rôle de mentor éphémère, peut-on considérer votre personnage comme celui qui va enfin permettre l’envol de J.P. vers son rêve ?
Vincent Graton : Absolument ! Il lui donne une clé et c’est un peu comme s’il donnait à J-P, le secret de famille. J’aime bien l’idée du secret de famille car il redonne de la puissance, du crédit et à partir de là on sent que J-P va aller loin.
Souley Keïta : Est-ce que c’est le drame d’une vie de ne pas atteindre nos rêves ou de ne pas considérer la seule chance que la vie va nous offrir ?
Vincent Graton : Je suis plus vieux que les boys (rires). Au Québec, on avait de la difficulté à rêver pendant de nombreuses années et pour rêver, cela a pris du temps. J’ai été entouré d’hommes, comme mon père, qui rêvaient sans nécessairement se mouiller. C’est comme si le rêve pour une génération était, en quelque sorte, inatteignable. Quand j’ai lu le scénario, cela me parler d’un certain passé, je pense que nous nous sommes affranchis et cette histoire est venue vraiment me chercher, par rapport à cette impuissance que nous pouvions avoir. J’ai quatre enfants, la première chose que je dis à mes kids, c’est que si tu as un rêve, on va s’organiser pour le mettre en place. Le monde qui n’est pas capable d’accéder à leur rêve m’amène à une tristesse infinie, surtout s’il n’y a pas eu de tentative.
Vincent Biron : Je vais rebondir sur ce que tu dis. Le grand drame de Yves, c’est qu’il n’a pas atteint son rêve et s’est arrêté sans en chercher un autre. Comme Yves aime le dire dans le film : « La vie est compliquée et on fait notre gros possible. »
Les rêves n’arrivent pas tout le temps, la tragédie de ce personnage est de rester bloquer sur le fait de ne pas avoir eu sa grosse carrière.
Une comédie dramatique sur le hockey qui sort aujourd’hui, vendredi 22 novembre 2019, pour terminer l’année en apothéose et sur la glace dans notre belle Maison du Cinéma.