Ce documentaire du cinéaste québécois Mathieu Arsenault (ancien monteur pour les Francs-Tireurs) nous plonge dans ses propres failles psychologiques ainsi que celles de Louis, ancien batteur des Sinners et de Frédérique, une jeune photographe.
On y constate que le trouble affectif bipolaire peut se compliquer lourdement s’il n’est pas décelé ou mal pris en charge. La force du film est de nous montrer l’impact sur l’entourage, alors que les familles et conjoints prennent eux aussi la parole sur la souffrance qu’ils ont vécue.
J’avais des réserves concernant ce documentaire, car j’avais peur qu’il transmette aux spectateurs une image très lourde et effrayante de la bipolarité. En effet, beaucoup de bipolaires ne vivront jamais de telles psychoses et plusieurs mènent une vie plus équilibrée qu’on l’imagine. N’empêche que les histoires sont passionnantes, véridiques et l’on s’attache aux personnes malgré leurs excès et dérapages. Je dirais même qu’il y a des bouts drôles, comme avec l’homme âgé qui est un véritable boute-en-train, beaucoup trop énergique.
Le réalisateur a reconstitué des moments de manies des protagonistes afin de les faire vivre au spectateur de leur point de vue. Ses images sont très belles et les témoignages sont touchants. Je pense entre autres à la conjointe de Mathieu, qui était enceinte lorsqu’il est parti en voyage, en pleine psychose, sûr d’avoir rencontré sa jumelle cosmique. Cette femme a dû prendre la douloureuse décision de se faire avorter ou non, alors que son conjoint n’était plus lui-même et qu’elle ignorait si elle allait même le revoir un jour. Mais le documentaire ne se veut pas non plus sensationnaliste et aborde aussi la reconstruction de chacun, une étape ingrate mais possible. Il y a bel et bien une fin heureuse malgré toutes les incroyables péripéties traversées. Et cette résilience est le fruit de beaucoup d’amour et de patience de la personne et de ses proches.
Leaving Neverland (Dan Reed)
Pourquoi regarder un tel documentaire? Peut-être pour tenter de comprendre l’incompréhensible. D’abord, il est intéressant de voir des hommes qui dénoncent des agressions sexuelles, car ceux-ci sont moins souvent représentés à l’écran.
Ensuite, les procédés de manipulation décrits par ces victimes pourraient servir à mettre la puce à l’oreille à l’entourage d’autres enfants. Le charisme d’une personne (ici une grande star de la pop), combiné à de beaux joujoux (propriété paradisiaque, arcade, cinéma privé, animaux, bar à bonbons, etc.) peut mener à de grands dérapages. Le chanteur et danseur se plaignait souvent de solitude et les familles qu’il choisissait lui faisaient confiance très rapidement. Des contextes exceptionnels faisaient paraître des comportements étranges comme quelque chose d’acceptable.
On apprend que ces jeunes victimes (7 ans et 10 ans) se sentaient spéciales et uniques auprès de leur agresseur et que l’admiration ressentie pour lui semait suffisamment de confusion chez elles pour les contraindre à garder des secrets.
Le documentaire ne se contente pas de montrer le côté sombre de l’industrie de la musique et les failles des procès, il révèle également le combat qu’ont dû mener les victimes dans leur vie adulte pour surmonter l’anxiété, la dépression et la perte de repères qu’une telle emprise peut créer. Bien que le sujet soit controversé et que tous ne croient pas cette version des faits, le film a sa pertinence, ne serait-ce que pour aider des gens à reconnaître qu’ils ont été victimes (un concept pas forcément clair pour un enfant), voire même à aller chercher de l’aide à ce sujet. Les conséquences de ce type d’agression peuvent se présenter des années plus tard et le fait de devenir parent peut en réactiver le souvenir. Il n’est jamais trop tard pour se libérer.