Si le cinéma du Québec a eu son heure de gloire, et la chanson québécoise fait toujours recette, une des formes artistiques qui s’est fortement développée au Québec ces 15 dernières années est la bande dessinée. Nous avons profité des «Rendez-vous Art BD de Sherbrooke» qui se tenaient au centre culturel Pierre Gobeil de Rock Forest du 16 au 19 mai pour poser la question aux auteur.es présent.es sur la nature de la BD québécoise.
Tous et toutes sans exception sont unanimes: «oui!!» la bande dessinée québécoise ça existe! Et tout le monde semble également d’accord pour dire qu’elle n’est pour autant pas si simple à définir. Denis Shelton, auteur des «strips» de Ben et président d’honneur du festival, nous rappelle l’époque des pionniers: «Dans les années 60 et 70, il y avait des tentatives avec Capitaine Kébec, mais la BD se développait surtout par les magazines de type fanzine qu’on autoéditait. Puis il y a eu aussi la revue «Croc» qui a donné une vitrine à Redketchup (de Réal Godbout), Richard Bigras ou Claude Cloutier».
La bande dessinée au Québec a évolué avec son temps, et en particulier avec la révolution numérique. «Grâce à la technologie, on peut publier facilement» souligne Francis «Grazo» Pelletier, auteur sherbrookois de «La quête de l’œuf». «C’était bien plus dur de se lancer dans les années 80 parce qu’avec les techniques d’édition de l’époque, il était impossible d’éditer un petit tirage (N.D.A < 500 exemplaires). Mais avec l’arrivée de l’impression numérique et d’Internet, tout est devenu plus simple et facile de faire de l’impression à petit tirage». La possibilité de publier et de diffuser sa production sur le web a permis à des auteur.es de se faire connaître comme par exemple Pénélope Bagieu avec «Ma vie est tout à fait fascinante» ou Boum et ses «Boumeries» dont les strips ont d’abord été publiés sur le web avant d’être édités sur papier. Francis Saint-Martin, auteur de «Dans la tête de François» (illustrations de Marc Bruneau), a suivi ce modèle: «À l’origine j’étais auteur de blagues quotidiennes sur ma page FB, puis j’ai été contacté pour les mettre en BD. J’ai ainsi découvert la BD québécoise, et je n’avais pas conscience de l’ampleur de la production, de sa richesse et de sa variété.»
Quelle est donc sa spécificité à cette bande dessinée québécoise si riche et variée? Denis Shelton propose de voir en elle un pont entre la BD européenne et le Comics des USA: «la BD québécoise est difficile à unifier, de trouver une école. Il y a beaucoup d’autobiographies, mais pas vraiment de style dans la mesure où il existe un mariage entre USA et Europe. Moi-même étant fils d’un couple mixte anglo-franco, j’ai baigné dans ces deux cultures». La carrière de Denis Rodier – illustrateur pour les prestigieuses maisons d’édition DC Comis (USA) et Delcourt (France) – qui s’est construite au hasard des rencontres entre les deux rives de l’océan Atlantique est également un exemple du «carrefour des cultures» que peut être la BD québécoise.
Pour ce qui est du style, Iris, illustratrice de «L’ostie de chat», relève que du fait des plus petits tirages de la BD québécoise, les auteur.e.s sont «plus libres, et proposent une BD plus intimiste et proche d’eux». Pour Francis Desharnais («La petite Russie», prix des Libraires 2019) «les auteur.es utilisent la réalité de la vie, l’Histoire, le joual et la typicité de la langue québécoise» tandis que Pascal Girard, auteur de «La collectionneuse» trouve que «dans la BD du Québec, on situe nos histoires dans des lieux du réel, c’est peut être ça notre spécificité. Et Michel a cette dimension territoire ou terroir très prononcée.»
Michel? C’est Michel Rabagliati, l’auteur de la série des «Paul», qu’à peu près toutes et tous les bédéistes interrogés ont nommé comme LA BD à offrir pour découvrir ce qu’est la BD québécoise. Et Michel Rabagliati confirme avec simplicité et candeur l’opinion de ses collègues: «lorsqu’en 1999 le premier volume de Paul a très bien fonctionné, cela a été un coup de projecteur énorme pour l’ensemble de la BD au Québec. Les gens venaient me voir pour me dire qu’ils découvraient une BD autre que celle des Tintin de leur enfance, une BD adulte. Et ça a redonné un vrai élan à la BD d’ici qui était en crise à la fin des années 90».
L’influence de Tintin, Astérix, de tous les classiques de la BD jeunesse franco-belge, sur l’image que l’on porte sur la BD masque un champ de créations graphiques et d’histoires originales incroyables. Toutes ces histoires qui parlent d’ici, qui utilisent la langue d’ici et qui sont mises en cases et en images par des gens d’ici sont là à découvrir dans les librairies et les bibliothèques du Québec.