Cyrano de Bergerac et L’homme éléphant: regards croisés sur la difformité

Date : 27 avril 2019
| Chroniqueur.es : Sylvain Vigier
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Le Centre culturel de l’Université de Sherbrooke programmait consécutivement «L’homme éléphant» et «Cyrano de Bergerac», deux pièces de théâtre résolument différentes pour traiter d’un sujet pourtant classique de «la difformité». Ces deux pièces ont connu un grand succès lors de leur adaptation au cinéma, et le Centre culturel nous proposait ces deux histoires dans leur environnement «naturel», c’est-à-dire sur les planches.

L’homme éléphant accouche d’une souris

Dans un décor sobre, voire simpliste, «L’homme éléphant» (Bernard Pomerance, 1977) interprété par La troupe du Théâtre du Rideau Vert dans une mise en scène de Jean Leclerc prend place dans le Londres de la fin du XIXe siècle. C’est l’époque où les Sciences triomphent, représentée sur scène par une immense horloge aux engrenages apparents. Cependant, la misère reste forte et c’est au détour d’une rue sombre de Londres que le DrFrederik Treves (Hubert Proulx, efficace mais sans éclat), jeune chirurgien talentueux du Royal London Hospital «découvre» John Merrick, «l’homme éléphant» exposé dans un «freak-show» par son propriétaire Ross (Germain Houde, incarnation de la veulerie). Le point d’orgue de la mise en scène de la pièce se joue lorsque le Dr Treves fait à ses collègues la description des difformités physiques de John Merrick tandis que dans le fond de la scène apparait Éric Paulhus (malicieux voire sournois) qui au fur et à mesure des considérations médicales de Treves déforme son corps dans des postures noueuses et incommodes et ainsi, sans artifices ni maquillage, incarne «L’homme éléphant». Le Dr Treves, avec sa rigueur scientifique fait la démonstration que John Merrick est atteint d’une maladie qui le rend difforme, et doit donc être traité comme un homme et non comme une bête. C’est ici la limite de cette adaptation: une fois John Merrick «humanisé», toute la dimension de ses humiliations passées ainsi que notre propre tentation perverse à vouloir l’humilier est à peine effleurée. John va terminer sa vie à l’abri des regards dans une sorte de vie mondaine où les importants de ce monde viennent le visiter et profiter de son esprit cultivé et affuté. Interpréter cette pièce par la morale «un cœur sensible bat sous cette apparence monstrueuse» est assez mièvre et éculée. Car John souhaite cette vie recluse à l’abri des regards. Une vie d’alcôve pour un homme qui aura été exposé sur les scènes perverses des théâtres de monstres, et devra finalement son salut à la curiosité clinique d’un théâtre anatomique.

Cyrano, le nez pour les bons mots

C’est dans une toute autre époque, celle de la France des mousquetaires du Roi au XVIIe siècle, que la troupe de La comédie humaine nous plonge pour cette représentation de Cyrano de Bergerac. Cette pièce en vers (Edmond Rostand, 1897) sonne résolument moderne et évite les tournures de phrases désuètes parfois entendues dans le théâtre classique en vers. C’est sur cette base de dynamisme et de liberté que le nez de Cyrano (Hugo Giroux, impeccable de présence et de souffle) pourfend la scène pour ne quasiment plus la lâcher. Le cœur de Cyrano, son sens du verbe, de la rime, de la rixe et du barouf se voient comme son nez au milieu de la figure, et la mise en scène de Michèle Deslaurier fait le choix du maquillage et des éclairages plutôt que d’une prothèse pour souligner la protubérance nasale du héros. Ce nez dont Cyrano ne peut se défaire est la grande fêlure du personnage, pourtant grandiose sur tant d’autres plans. C’est à cause de la laideur qu’il lui inspire, lui qui est amoureux du beau, que Cyrano va accepter de disparaitre au profit de Christian (Guillaume Champoux, un peu terne à moins que ça ne soit son personnage) pour décrocher le cœur de Roxane (Mélanie Pilon, mutine mais manquant un peu de chaleur). Christian, à l’inverse, est beau comme un Apollon mais se décrit comme un sot au moment d’ouvrir la bouche pour chanter l’amour. Et comme Christian est beau et qu’il plait à Roxane, Cyrano lui soufflera ses mots comme s’il la regardait en face. Jusqu’à ce qu’à la fin, tous les masques tombent, mais trop tard. Aujourd’hui où l’on légifère pour protéger nos chérubins de «l’intimidation» des cours de récréation, Cyrano nous rappelle que face à la menace il nous faut monter au front et apprendre à nous tenir debout. Qu’un mot bien senti est une arme plus forte qu’une insulte bête et lâche. Cyrano monte sur scène pour défendre son nez en forme de «roc, de cap» et même de «péninsule», mais au moment de défendre son cœur il fera le choix de se cacher derrière l’apparence de Christian. La seule erreur de sa vie flamboyante.

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