Lettre ouverte au recteur de l’Université de Sherbrooke
Monsieur le Recteur,
Comme vous le savez probablement, l’idée de nommer un plus grand nombre de lieux en l’honneur de femmes gagne en popularité depuis quelques années. À Sherbrooke, le mouvement pour la toponymie paritaire est bien engagé, et tout porte à croire que les femmes en viendront à être mieux représentées dans l’espace urbain.
Néanmoins, à l’Université de Sherbrooke, le pronostic est plus sombre. Un coup d’œil sur le plan du campus principal permet de constater que les principaux lieux de l’université, de la salle Maurice-O’Bready à la bibliothèque Roger-Maltais, sont exclusivement nommés en l’honneur d’hommes.
Sans doute nous direz-vous, avec une part de vérité, que la toponymie officielle de l’université représente le reliquat d’une autre époque. Cependant, des données obtenues auprès du Secrétariat général de l’Université montrent qu’en fait, les noms de deux tiers des 26 personnes honorées sur campus ont été choisis durant les 15 dernières années (voir l’encadré).
Jusqu’à maintenant, presque uniquement des hommes se sont vus reconnus dans la toponymie de l’université, la seule exception étant Denise Paul, en l’honneur de qui est nommée une salle de l’École des sciences infirmières. La situation ne semble pas en voie de changer; le nom récemment donné au Centre sportif de l’université confirme la tendance à reconnaître l’apport d’hommes du passé, en oubliant une fois de plus les femmes.
Sans doute n’a-t-on pas pensé à se prémunir contre les lacunes des archives et de l’historiographie, penserez-vous, M. le Recteur. Vous êtes, comme nous, conscient que l’esprit critique est parfois faillible. Pourtant, des années avant l’adoption de la plupart de ces toponymes, une chercheuse avait écrit une lettre ouverte, dans le bulletin d’information de l’Université de Sherbrooke, afin de prévenir vos prédécesseurs contre le risque d’oublier une fois de plus les femmes. Elle y invitait le Comité de toponymie consultatif de l’époque à « choisir des noms qui rendent justice à l’apport significatif de femmes dans l’histoire plus ou moins récente de l’Université de Sherbrooke », puisqu’elle jugeait comme « symboliquement important que l’Université ne soit pas identifiée uniquement avec des noms masculins. » (Liaison, 12 avril 2001, p. 12) En toute évidence, cet appel n’a pas porté ses fruits.
Après tant d’années sans changement de cap, il y a lieu de se demander si la Politique de toponymie, qui priorise les fondateurs de l’établissement et n’admet que les personnes décédées, ne serait pas implicitement défavorable aux femmes. Nombre de professeures et étudiantes ont déjà marqué l’histoire de notre université et leur absence de la toponymie porte à se questionner. Parmi les incontournables, on pense bien sûr à feue Andrée Désilets, historienne et toponymiste, mais aussi à d’autres chercheuses de talent qu’il serait possible d’honorer de leur vivant, comme Armande Saint-Jean et Hélène Cajolet-Laganière, pour nommer les premiers exemples qui viennent en tête.
Nous vous interpellons donc directement, Monsieur le Recteur. Nous invitons le rectorat à se retrousser les manches et à mettre en actions les mécanismes nécessaires à l’adoption de nouveaux toponymes féminins, sur le campus, d’ici mars 2020. Les voies de circulation du campus principal, qui portent présentement de simples numéros, pourraient servir à rapidement rectifier la donne.
Avec une toponymie plus diversifiée, qui inclurait de nombreuses femmes, notre université pourrait passer de dernière de classe à exemplaire en matière d’équité toponymique. On cesserait alors de faire comme si, en quelque 65 ans d’existence, l’Université de Sherbrooke n’avait ni accueilli ni formé de femmes suffisamment dignes pour accéder à des hommages toponymiques éclatants.
Gabriel Martin, étudiant à l’Université de Sherbrooke. Appuyé par Évelyne Beaudin, Sarah Beaudoin, Nicole Dorin, Micheline Dumont, le CALACS Agression Estrie, ConcertAction femmes Estrie et les PÉPINES.
Noms des personnes honorées par la toponymie officielle de l’Université de Sherbrooke
- Frère Marie-Victorin (1972)
- Maurice O’Bready (1972)
- Frère Théode (1979)
- Albert Leblanc (1979)
- John Samuel Bourque (1979)
- Joseph-Armand Bombardier (1987)
- Serge Garant (1996)
- Pierre Tétreault (1999)
- André Blanchet (2001)
- Georges Cabana (2004)
- Gérald La Salle (2005)
- Irénée Pinard (2005)
- Maurice Vincent (2005)
- Denise Paul (2005)
- Jean de La Broquerie Mignault (2006)
- Armand-Charles Crépeau (2006)
- Charles-Émile Bélanger (2007)
- Roger Maltais (2009)
- Maurice Delorme (2009)
- Pierre-Henri Ruel (2009)
- Roch Roy (2009)
- Louis-Joseph Fortin (2010)
- Bernard Miron (2010)
- René Hivon (2012)
- Adrien Leroux (2015)
- Yvon Lamarche (2019)