Entrée Libre partage son privilège d’accès à la vision de création des artisans du film «À tous ceux qui ne me lisent pas» inspiré de la vie du poète Yves Boisvert. Lors de notre dernière parution, la trame narrative et la signature visuelle ont été exposées.
Reprenons l’éloge du temps long où rien ne presse et amusons-nous à faire perdurer les fruits de ces rencontres dans l’art d’être présent avec la suite abordant la relation aux Chaouins, pierre angulaire ayant influencé l’image et le scénario.
Rappelons qu’Yves Boisvert avec Dyane Gagnon (à la réalisation graphique) ont rendu hommage aux Chaouins sous forme de volume pour représenter «dans le sens lacanien, l’esprit rebelle du langage chaouin qui refuse le sens commun au discours doxique socio-mercantile de la pensée niaiseuse.»
Une équipe pour des mots en images
Le terme Chaouin, selon le linguiste Henri Wittmann, est une variété régionale du québécois parlé sur la rive sud de Trois-Rivières, qui par le fait même est aire territoriale anciennement partagée avec les Abénakis. Le mot chaouin traduit le mot abénaki magoua voulant dire «chat huant, rusé», avant de devenir péjoratif.
Cette appellation devenue péjorative n’a rien enlevé à l’envie de Yan Giroux, réalisateur-scénariste, et Guillaume Corbeil, co-scénariste, de s’en servir. Ils soulignent que «Dyane et Yves se sont rencontrés et très rapidement ils se sont mis à créer ensemble. Les chaouins nous permettaient d’avoir un projet à construire.»
En ajoutant que «les chaouins ont aidé autant au niveau narratif qu’en terme esthétique et avec le lien créatif entre les deux ça donnait une saveur particulière. II y a un look des idées dans les chaouins qui nous a nourris pour penser l’image du film. Certaines images viennent de l’écriture de Guillaume et au scénario, on les a placées.»
Le duo de scénaristes ont mis à contribution le directeur photo Ian Lagarde pour répondre à leur questionnement de «comment on arrive à ces lieux-là qui sont placés au scénario, comment libérer le potentiel de beauté, d’illumination pour parler en terme de lumière». Ils reconnaissent qu’«avec Ian on est plus dans le concret, on va chercher des images de d’autres films, on se fait un moodboard , on a vraiment rempli un mur d’images qui était comme l’inspiration pour le film et on regardait ça. On pouvait associer telle scène à tel mood, d’un côté il y avait les chaouins et de l’autre la pensée niaiseuse.»
À cette complémentarité, il y a Marie-Claude Gosselin à la direction artistique qui «avec ces deux pôles-là était au cœur de la réflexion où certaines lumières, certains types de cadrage et pour la pensée niaiseuse je dirais l’aliénation du quotidien ou même l’aliénation de la société de consommation avec ses obsessions» souligne Yan Giroux.
Découvrir les humains dans ses corps d’artistes
Dans l’élan des échanges, il est apparu inévitable de tester un concept qui s’est fort bien déroulé, amener les artisans à compléter individuellement l’énoncé suivant: Pour moi, un trip d’artiste c’est… Avec un exemple de ce qu’ils auraient pu ou aimeraient faire en ce sens. Voici les propos recueillis en définition et exemple.
Céline Bonnier (Dyane Gagnon)
«C’est l’arrogance nécessaire pour partager sa réflexion au sujet de la réalité avec ses souffrances, ses absurdités, ses beautés.
Mon trip serait d’être, à l’image de David Lynch, à l’écoute de toutes les directions sensibles de l’art de mes besoins, de les exprimer, partager, imposer.»
Martin Dubreuil (Yves Boisvert)
«Ça part avec une idée, des idées.
Mener à terme TOUTES mes idées, c’est-à-dire:
—rassembler mes poèmes, les «corriger» pis les publier;
—en écrire plus;
—écrire mes souvenirs;
—écrire ma fameuse histoire pour enfants;
—faire mon court métrage.
Guillaume Corbeil
«Où l’on ose l’improbable, où on s’attelle à réaliser un projet ou une idée qu’on croit folle ou insensée.
Dans ce sens-là, j’imagine que tous mes projets sont d’abord des trips d’artistes, que ce soit au théâtre ou ici, avec ce scénario.»
Yan Giroux
«C’est oublier un instant les impératifs fonctionnels pour se laisser aller dans la beauté et la force de l’inutile.
Personnellement, cette quête d’expression personnelle et libre est au cœur de toutes mes œuvres, que ce soit en filmant la ville de Marseille dans mon film français – Un 14 juillet à Marseille ou en me promenant, alerte, avec mon IPhone, pour capter les images qui constituent le film du personnage de Marc dans «À tous ceux qui ne me lisent pas».
À la suite du visionnement du film et lors de la préparation de l’entrevue, une question paraissait intéressante à soumettre pour profiter de leur point de vue: Est-ce qu’il y a du déni dans l’utopie? C’est que nous découvrirons sous diverses facettes lors de la prochaine parution.