Ça fait maintenant deux ans que j’envoie mes textes à Entrée Libre. Chaque mois j’en ai écrit au moins un et parfois plusieurs pour les faire paraitre ici et sur le site web. Mais celui-ci sera mon dernier avant une période de repos d’une durée indéterminée et j’ai l’intention de parler d’épuisement militant, le « burnout » de l’implication sociale et politique. Une des choses qui m’a aidé à prendre conscience de mon propre problème a été de lire des témoignages et de me reconnaitre dans plusieurs d’entre eux. Je livre donc mon propre témoignage en espérant que cela puisse être utile.
D’abord, il faut comprendre la différence entre une dynamique d’implication saine et une forme malsaine. Pendant ma bonne période, l’implication m’a permis de rencontrer nombre d’amis et d’amies, donnait un sens à ce que je faisais, me permettait de me connaitre, de dépasser mes limites, de sortir de ma zone de confort, d’avoir une bonne estime personnelle, etc. À certains moments, il s’agissait d’un militantisme très intensif, mais toujours pour une période bien limitée et pour laquelle j’étais préparé. En d’autres mots, ce type d’implication est celui qui est souhaitable pour tout le monde et je dirais même qu’il faudrait le prescrire à certaines personnes qui se sentent seules ou malheureuses, car il y a vraiment quelque chose d’enrichissant dans un militantisme de ce genre.
D’autre part, il y a la dynamique d’implication malsaine qui dans mon cas a débuté à l’automne 2016 et qui a culminé de l’automne dernier à aujourd’hui. Celle-là, je vais en dresser rapidement un portrait à partir de mon expérience. Mon automne 2017 a été marqué par une surcharge évidente de tâches qui a causé une forte augmentation de ma consommation de drogue et d’alcool en plus de troubles du sommeil. À un certain point est venu s’ajouter à cela un emploi, car je voyais mes comptes descendre comme mon énergie. Mais si cela m’apparait aujourd’hui très problématique, sur le moment je ne le voyais pas tout à fait ainsi, car j’avais l’impression d’être utile. Par ailleurs, je tentais de me convaincre que le repos arriverait bientôt de lui-même, presque naturellement. Cela n’a pas eu lieu. Incapable de dire « non » ou de m’empêcher de prendre des tâches, j’ai continué. Ça a duré un temps, puis est arrivé « le choc », ce moment étrange que j’aurais de la misère à décrire où j’ai implosé. Mon efficacité a chuté à zéro, ma consommation a atteint des sommets, je ne gérais plus du tout mes émotions et j’étais incapable de respecter mes engagements. Par des commentaires souvent anodins et pas du tout malintentionnés, les gens ont commencé à me faire comprendre que j’avais changé.
C’est ici que je me permets de faire une petite description des choses à remarquer sur soi qui peuvent signaler un épuisement militant. Tout d’abord, il y a les changements dans ta consommation : tu consommes beaucoup plus, tu consommes de nouvelles choses, tu consommes seul ou encore, tu consommes pour « décompresser ». Deuxièmement, tu n’es plus capable de respecter tes propres engagements parce qu’ils sont objectivement irréalisables dans le temps que tu as ou parce que ton manque d’énergie t’empêche de le faire. Troisièmement, tu remarques que les gens te trouvent plus irascible, tu as tendance à péter un plomb pour un rien ou encore tu te frustres contre toi-même. Finalement, physiquement tu ne te sens pas bien : troubles du sommeil, maux musculaires, alimentation carencée à force de manger sur le pouce, manque de temps pour faire de l’exercice, problèmes divers qui s’accentuent tels que l’asthme dans mon cas. Cette courte description de symptômes n’est que la mienne, je t’encourage fortement à lire d’autres témoignages qui cerneront ce que je n’ai personnellement pas vécu. De plus, si tu vois beaucoup de ressemblances avec ta situation, ait le courage d’en parler à une personne en qui tu as confiance.
En finissant, je remercie grandement les camarades qui m’ont aidé à prendre conscience de mon épuisement (Gab et Aly pour ne pas les nommer) ainsi que les autres qui, en l’apprenant, m’ont écrit pour me dire que c’est correct de prendre du repos.
Le collectif Entrée Libre souhaite remercier William pour sa participation assidue au journal. Pendant deux ans, William a publié une trentaine de chroniques politiques. Ses chroniques se distinguaient par leurs originalités d’angle de traitement, en étant toujours pertinentes face à l’actualité. Nous avons sous sa plume découvert des auteur·es et des concepts politiques nouveaux. William présente ici sa dernière chronique. Nous souhaitons, tout comme son titre l’indique, que ça ne soit que temporaire.
Si le sujet de l’épuisement militant vous interpelle, nous vous suggérons de poursuivre votre lecture avec Lettre à un·e militant·e.