Vous rappelez-vous de la dernière fois qu’un député machiniste a été élu à l’Assemblée nationale ou qu’une députée caissière a occupé un poste de ministre? Non? Pourtant, notre démocratie n’a-t-elle pas la prétention d’être représentative? Que représente-t-elle alors? Le vote de l’électorat? Ce serait beau, mais visiblement, le niveau de distorsion les votes reçus par chacun des partis et leur nombre de sièges réel est trop grand pour que l’on puisse prétendre que c’est le cas. Par contre, nous savons que la députation a pour travail de représenter la population, mais à quel point en est-elle capable? L’enjeu de l’adéquation entre la population représentée et les caractéristiques socioéconomiques de la classe politique est rarement soulevé. Or, c’est précisément ce que nous allons tenter de faire ici.
Premier écueil : l’absence complète de ressemblance entre les emplois qui étaient occupés par les députés et les députées avant leur entrée en fonction et les emplois occupés par la population dans son ensemble. En effet, si l’on se fiait à l’Assemblée nationale comme échantillon pour évaluer les métiers pratiqués par la population, on en conclurait que les gens travaillent majoritairement dans le domaine du droit, de l’entrepreneuriat ou dans les hauts postes de la fonction publique. C’en est à croire que presque personne ne travaille en usine, dans les cuisines ou dans tout autre métier rémunéré à moins de 100 000 $ par année. Cette invisibilité des travailleurs et des travailleuses, c’est également l’invisibilité de la condition de ces personnes. Et que dire du salaire de la députation qui la place clairement dans une position privilégiée par rapport au peuple qu’elle est censée représenter? Non seulement le revenu est beaucoup plus élevé, mais en plus il vient avec une stabilité d’emploi qui ferait rêver n’importe quel travailleur ou n’importe quelle travailleuse précaire. Bon an mal an, un député ou une députée touche son salaire pendant au minimum 4 années et les exemples de personnes faisant leur carrière sur les bancs de l’Assemblée ne manquent pas.
Le second problème ressemble beaucoup au premier, car il consiste en l’invisibilité de plusieurs groupes de la société. Les femmes, qui composent pourtant la moitié de la société, ne sont actuellement que 36 sur les bancs de l’assemblée nationale, ce qui correspond à 28,8 % de la composition de la chambre. Le même constat peut être fait pour les personnes racisées qui sont elles aussi largement sous-représentées. Certaines personnes pourraient se demander en quoi cela représente vraiment un problème. Il faut à ce moment s’interroger sur ce que le fait d’être socialisé dans un corps plutôt qu’un autre et d’avoir subi le traitement de la société en tant que femme ou en tant que personne racisée a comme impact sur la façon de voir le monde. Car, vivre une vie d’homme blanc ce n’est pas la même chose que vivre une vie de femme autochtone, ne serait-ce que parce que les opportunités et le niveau de violence ou de discrimination est complètement différents. C’est d’ailleurs pourquoi les militantes féministes et les activistes antiracistes défendent généralement l’utilisation d’outils d’analyses différenciées permettant de mettre en évidence et de documenter avec précision la discrimination latente et parfois manifeste de certaines institutions.
Récapitulons : la députation a pour travail de représenter la population, mais sachant qu’elle n’est pas représentative des caractéristiques socioéconomiques de celle-ci, à quel point en est-elle capable? Il semble difficile, dans un tel cas, de représenter adéquatement les intérêts de la population. Tout au plus, la députation peut faire des efforts pour porter la voix des gens (mais encore, cela suppose de tenir des consultations publiques entre les élections!) En somme, le manque de représentativité de l’Assemblée nationale est à juste titre pointé du doigt en ce qui a trait au mode de scrutin, il s’avère important de considérer aussi le manque de représentativité à la lumière des caractéristiques socioéconomiques de la députation. Cela étant dit, il ne suffit pas de critiquer le système pour régler le problème. Il faut aussi penser aux mécanismes permettant d’ajuster la situation et c’est ici qu’il faut faire une place à la créativité politique.