— Tu as déjà eu des animaux?
— Bien, un de mes ex avait un aquarium. J’aimais m’asseoir devant et regarder les poissons rouges pendant une heure. C’était comme une méditation. Mais pour penser à les nourrir, c’était une autre histoire…
Martin ne me juge pas, il se fout un peu de ma gueule et c’est tout. Il faisait l’élevage de guppys pendant son secondaire. Il a même déjà eu un hippocampe, animal fragile s’il en est un, mais fascinant. Chez les hippocampes, c’est le mâle qui garde les œufs avec lui dans une poche ventrale.
– Mais si j’avais un chat, ce serait autre chose. Je saurais le traiter aux petits oignons. J’adore ces bêtes, elles sont tellement indépendantes que quand elles viennent vers moi, je me sens privilégiée. Y a rien comme se mettre la face dans leur pelage ou les faire jouer avec une boule de papier d’aluminium quand on a un petit coup de blues.
– Tu n’as jamais eu de chats?
– Mes parents n’étaient pas chauds à l’idée d’avoir un animal. Une perruche, c’était leur gros maximum. Par la suite, j’ai été dans des appartements où je n’avais pas nécessairement le droit. Quant à mon ex, il était allergique solide et de toute façon, il préférait de loin les chiens.
– C’est bizarre cette espèce de discrimination: les gens à chats et les gens à chiens.
– Tu fais partie des rares qui aiment autant les deux?
– Je dois avouer que je préfère les chats. Cela dit, j’aime bien traîner près du parc à chien et les regarder courir dans tous les sens.
On décide d’aller faire un tour à la SPA. J’apprends qu’il y a une salle où on peut aller visiter deux ou trois chats prêts pour l’adoption. On fait attention de refermer rapidement la porte pour éviter les évasions félines. Un chat noir ouvre à peine l’œil à notre arrivée. Il semble dire: «Qui ose troubler mon précieux sommeil». Mais il y a un deuxième chat et celui-là est tout un phénomène. Il vocalise pour qu’on s’approche de lui, puis il frotte sa tête contre celle de Martin. Il a des rayures bien définies comme dans les annonces de Whiskas. Mais le plus surprenant, c’est qu’il a la queue coupée. Des fois, j’aimerais savoir l’histoire complète d’un animal, comprendre comment il est abouti ici. Était-ce de la négligence, a-t-il subi quelque violence ou est-ce plutôt l’œuvre de personnes qui n’avaient pas de meilleure option? J’ai écouté le documentaire Nos animaux de la honte. J’y ai appris qu’au Québec, on est champions de l’abandon d’animaux. Certains viennent rendre leur chien parce qu’ils ont changé de couleur de divan et que l’animal ne fite plus. D’autres se font poser de nouveaux planchers et n’aiment pas l’idée que leur toutou puisse les égratigner. Il y a aussi les propriétaires de chats qui n’apprécient pas que ceux-ci fassent leurs griffes sur les tapis ou les sofas. Malheureusement, il y a parfois un membre de la famille qui développe une allergie. Quand cela oblige à utiliser des pompes pour l’asthme et des antihistaminiques sur une base régulière, le choix est déchirant. Des animaux en pleine santé sont souvent euthanasiés faute d’avoir trouvé un foyer dans les délais requis. Les refuges manquent de place et de ressources. Leurs employés ont des tâches bien ingrates et leur bien-être psychologique s’en ressent. Je me rappelle du témoignage d’une vétérinaire qui disait que tout le monde quand il était petit avait déjà souhaité être vétérinaire, mais que la réalité était beaucoup moins rose.
– À quoi tu penses? Ça a l’air grave…
– Ah, excuse-moi, je pensais à tous les animaux qui ont été abandonnés et qui n’ont pas nécessairement trouvé de famille de rêve pour en prendre soin. Et qui ont possiblement fini dans un sac de poubelle…
– Quand on se sent impuissant, ce qui aide, c’est de faire un geste concret qui nous fait du bien. Comment tu le trouves, ce chat-là?
– Il est vraiment chouette, sociable, affectueux, joueur. Il est jeune encore aussi. Ce serait vraiment dommage si personne ne voyait son potentiel.
– Bon, bien, c’est décidé. Je vais le prendre, moi.
Je me demande si ce n’est pas un peu impulsif de sa part. Il ne le connaît que depuis quelques minutes après tout. Et puis merde! C’est une bonne nouvelle, je devrais être contente.
– Tu m’épates. Je vais le traiter comme mon propre bébé!