Survivre à la Saint-Valentin (Exercice d’indépendance, épisode 1)

Date : 1 mars 2015
| Chroniqueur.es : Evelyne Papillon
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J’ai un ami pianiste à ses heures. Il me raconte souvent ce qu’il pratique dans ses cours. L’autre jour, il m’a montré un exercice d’indépendance. Il s’agit d’arriver à séparer ce que font les mains, afin que chacune s’exécute distinctement dans sa tâche. Ce terme m’est resté en tête: exercice d’indépendance. N’est-ce pas précisément ce que je tenterai de faire vis-à-vis des hommes?

Au piano, les mains sont récalcitrantes au début. Elles veulent se déposer en même temps que leur consœur. Elles s’imitent au lieu de garder leur propre mélodie. J’ai toujours cherché à me coordonner à quelqu’un. Toujours eu pour idéal que l’on pense la même chose en même temps. Qu’on aime la même musique, qu’on partage les mêmes valeurs. Peut-être que cela est impossible. Peut-être que cela est étouffant à la longue, de se suivre autant.

Pour le premier exercice d’indépendance, j’ai survécu à la Saint-Valentin. Il faut dire qu’il y en a des filles tristes, ce jour-là, et pas que des célibataires. Je me demande même si c’est pire lorsqu’on est en couple et que l’autre n’accorde aucune importance à cette fête (si pour soi il en va autrement, bien entendu). Commerciale? Restreignante? Artificielle, cette célébration? Bah, c’est un peu comme Noël, ça dépend de l’esprit qu’on lui donne.

Je regarde mes parents s’aimer et je les trouve beaux. Ma mère a fait un gâteau, elle s’est faite belle. Mon père lui a écrit un mot gentil, lui a préparé du saumon comme lui seul sait le faire. Mon père aime bien couper les fleurs de ses propres plantes, plutôt que d’en acheter chez le fleuriste. En fait, mon père aime encore plus les fleurs que ma mère, mais elle trouve quand même ses attentions charmantes.

Ça m’a donné une idée. Pourquoi attendre qu’un homme m’offre ce dont j’ai envie? Je me suis acheté des roses. Pas de celles qu’on coupe et qui durent trois jours. Je me suis acheté des roses en pot, dont je devrai prendre soin. Je me donne le défi de prendre soin de moi, sans attendre que les autres le fassent. Ces fleurs… j’hallucine comme elles sont belles!

J’ai peur de rentrer chez moi un jour et de les retrouver desséchées. J’ai peur qu’elles n’aient pas assez de lumière, que je leur donne trop ou pas assez d’eau. J’ai peur que l’humidité ou la sécheresse de mon trois et demi miteux en vienne à bout. Je suis terrifiée à l’idée de m’occuper d’elles, de moi, mais c’est trop tard pour revenir en arrière. Elles sont vivantes, je suis vivante.

Parce qu’être célibataire, ce n’est pas fuir l’engagement. Je prendrai tous les engagements qu’il faut pour enrichir ma vie. Je ne fréquenterai plus personne par ennui, pour combler ce foutu vide abyssal. Mon horaire sera tellement rempli qu’il n’y aura plus de place dans mon agenda. Plus de place pour un amoureux. Je serai une fervente travaillante. Je serai de tous les événements. Et je me soûlerai de loisirs aussi.

Je me suis inscrite à un cours de baladi. Aucun risque d’y rencontrer un homme. Ça me fera du bien de reconnecter avec mon corps. Peut-être que je me découvrirai un talent caché? J’aime tellement la musique orientale! Et puis c’est une danse qui s’adresse à tous les types de corps, à tous les âges, qui décomplexe. Ce sera l’occasion de faire plus d’activité physique. Je suis fière de moi. Il y a longtemps que j’en rêvais secrètement.

Pour revenir à la Saint-Valentin, en plus de ma nouvelle acquisition, j’ai passé une partie de l’après-midi avec une amie dont le chum est parti récemment. On a fait des biscuits pour chien, une recette maison simple et santé. Puis on est allées à la SPA et on les a donnés aux chiens qu’on a aussi promenés. J’ai un peu peur des chiens, mais je les trouve beaux en même temps. Ils semblent tellement libres et heureux. Ça contraste avec la vie encagée qu’ils ont en attendant qu’on les adopte.

Ça m’a fendu le cœur de remettre le cabot dans la cage, mais j’avais quand même passé un bel après-midi avec mon amie, sans jamais penser aux gars. Je suis comme une ex-toxicomane. Si je me tiens loin des tentations, tout va très bien aller. Il faut juste que je ne cède pas, sous aucun prétexte. Je me suis acheté des chocolats. Ce soir j’écoute un drame sous-titré et je m’empiffre. Pas si mal, ma nouvelle vie…

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