Une « mobilisation historique », c’est l’expression sans cesse répétée par les leaders syndicaux français. Malgré une défaite évidente du mouvement social contre cette réforme du gouvernement Sarkozy, le mouvement social français n’a jamais dans son histoire mobilisé aussi massivement la population. Au plus fort de la crise, près de 3,5 millions de Français étaient dans la rue et 68 % de la population s’opposait fermement à la réforme. Avec le blocage des raffineries, des ports, le ralentissement du trafic aérien, les écoles fermées, les facultés bloquées, les ports et la grève des éboueurs, le mouvement social semblait près à tout pour faire plier le gouvernement, ce qui s’avéra beaucoup plus difficile que prévu.
Le système de retraite : un acquis de la résistance
Les bases du modèle social français remontent à la résistance et aux décisions prises par le Conseil national de la résistance alors dominée par les gaullistes et les communistes. C’est à ce moment charnière de l’histoire de la France que le CNR accorde le droit de vote aux femmes, établit la sécurité sociale pour l’ensemble de la population et met sur pied un régime de pension public unique au monde : le régime de retraite par répartition. En clair, la retraite par répartition consiste au fait que ce sont les « actifs » (travailleurs et employeurs) qui paient la retraite des « inactifs ». Il ne s’agit pas en réalité du « bas de laine » que l’on connaît ici et qu’on a le droit de retirer seulement à un certain âge. Il s’agit d’un envoi direct de cotisation des travailleurs aux retraités.
Ce qui amena le gouvernement à réformer ce système c’est essentiellement un « déficit de la caisse ». Selon le gouvernement, le choc démographique ferait en sorte de diminuer le nombre d’actifs et ainsi provoquer un trou béant dans le régime de retraite. Cela rendrait impossible le droit légal de départ à 60 ans et ainsi une retraite à taux plein à 65 ans. La réforme fait donc passer l’âge légal de 60 à 62 ans, de même que l’accès au taux plein à 67 ans, ce qui à terme, fait du système français l’un des moins généreux en Europe. Et la contribution des entreprises dans tout ça? Elle sera appelée à diminuer et ce sera évidemment les travailleurs qui devront assumer le « péché originel » de la défunte retraite à 60 ans.
La réplique syndicale
Les opposants à la réforme ont plusieurs raisons de douter des motivations du gouvernement sur ce qui justifie cette réforme. On allègue d’abord que c’est le gouvernement lui-même qui depuis les quinze dernières années a sciemment provoqué le déficit de la caisse en réduisant les cotisations exigées aux employeurs. Le report de l’âge légal va de ce fait empirer le problème puisqu’il aura pour conséquence d’augmenter le chômage des jeunes (report l’âge légal de deux ans va priver les diplômés universitaires de près de 2 millions d’emplois) et donc de diminuer les cotisations. Pour le mouvement social, le gouvernement n’a d’autre objectif que de mettre fin au régime par répartition afin de le remplacer par un modèle typiquement américain et lucratif pour la haute finance : la capitalisation (nos fameux REER).
Suite au vote de l’Assemblée nationale et du Sénat, le chef de l’État a promulgué la loi le 9 novembre dernier. Avant même cette promulgation, la mobilisation syndicale s’était passablement essoufflée à la suite des vacances de la Toussaint de la fin du mois d’octobre. Qu’est-ce qui explique une baisse si marquée et rapide d’une mobilisation qui semblait offrir de réelles perspectives de victoire? La stratégie intersyndicale était-elle vouée à l’échec dès le départ?
Selon Adrien Frouin, militant étudiant de l’Université d’Angers au syndicat étudiant de l’Union des étudiants de France (UNEF, syndicat étudiant majoritaire de France), « On ne peut que regretter qu’il n’y ait pas eu d’appel à la grève générale reconductible au moment où la mobilisation était la plus forte. Je crois qu’il s’agit ici du prix de l’unité intersyndicale. Les syndicats les plus mous comme la Confédération française démocratique du travail (CFDT, syndicat réformiste) et de son côté la Confédération générale du travail (CGT, syndicat majoritaire de France) qui était systématiquement assise en deux chaises pour ne pas perdre l’unité. »
La retraite : une affaire de jeunes?
Un autre élément que les observateurs considéraient dans la mobilisation, c’était l’entrée des jeunes étudiants et lycéens dans le conflit. Celle-ci fut plutôt remarquée du côté lycéen, mais il semble que dans les universités cela ait été plus difficile. « Pour les étudiants, c’était plus compliqué puisque nous avons démarré la mobilisation en retard à cause du calendrier scolaire. Les vacances scolaires n’ont pas non plus aidé à la fin octobre; cela a coupé notre élan de mobilisation », mentionne Adrien Frouin de l’UNEF.
Également, on peut être tenté de se demander comment un enjeu comme la réforme des retraites puisse susciter une mobilisation des jeunes. « Avec le report de l’âge légal à 62 ans, cela a pour effet de diminuer le nombre d’emplois disponibles pour les jeunes à la sortie des études. Avec un taux de chômage de 30 % chez les 18-30 ans, les étudiants ne peuvent se permettre de perdre près de 2 millions d’emplois supplémentaires », ajoute Adrien Frouin.
Des perspectives?
Malgré cette défaite sur les retraites, on peut s’interroger à savoir si cela a entrainé une certaine résignation. « Il est mieux je pense finalement de sortir d’un mouvement comme celui-là avec une certaine unité avec des bonnes perspectives que d’avoir une issue où les syndicats se tapent sur la gueule et où les salariés seraient épuisés et résignés », souligne Florian Briou, militant du Mouvement Jeunes Communistes du département de Maine-et-Loire.
«Un acquis important de ce mouvement, c’est que la population a repris confiance en les organisations syndicales. Il resterait seulement à articuler un discours davantage centré sur un réel projet politique alternatif au lieu d’une rhétorique défensive » conlut Florian Briou.